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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

descriptions riches, ses pensées majestueuses. Son principal ouvrage est un poème en sept chants sur les sept jours de la création. Il y étale successivement les merveilles de la nature ; il décrit tous les êtres et tous les objets de l’univers, à mesure qu’ils sortent des mains de leur céleste Auteur. Nous sommes frappés de la grandeur et de la variété des images que ses vers font passer sous nos yeux ; nous rendons justice à la force et à la vivacité de ses peintures, à l’étendue de ses connaissances en physique, en histoire naturelle. En un mot, notre opinion est que les Français sont injustes de méconnaître son mérite, et qu’à l’exemple de cet électeur de Mayence, qui fit graver autour de la roue de ses armes sept dessins représentant les œuvres de Dieu pendant les sept jours de la création, les poètes français devraient aussi rendre des hommages à leur ancien et illustre prédécesseur, attacher à leur cou son portrait, et graver le chiffre de son nom dans leurs armes. Pour prouver à mes lecteurs que je ne me joue point avec des idées paradoxales, pour les mettre à même d’apprécier mon opinion et celle de nos littérateurs les plus recommandables sur ce poète, je les invite à relire, entre autres passages, le commencement du septième chant de sa Semaine. Je leur demande s’ils ne trouvent pas ces vers dignes de figurer dans les bibliothèques à côté de ceux qui font le plus d’honneur aux muses françaises, et supérieurs à des productions plus récentes et bien autrement vantées. Je suis persuadé qu’ils joindront leurs éloges à ceux que je me plais à donner ici à cet auteur, l’un des premiers qui aient fait de beaux vers dans sa langue, et je suis également convaincu que les lecteurs français persisteront dans leur dédain pour ces poésies si chères à leurs ancêtres, tant le goût est local et instantané ! tant il est vrai que ce qu’on admire en-deçà du Rhin, souvent on le méprise au-delà, et que les chefs-d’œuvre d’un siècle sont les rapsodies d’un autre[1] ! »

Goethe n’a pas fini ; il continue et explique en général ce changement par le progrès exclusivement classique qui s’est accompli sous Louis XIV, qui s’est même poursuivi au-delà, et dont l’effet a été d’épurer de plus en plus, de tamiser la langue. Mais c’est assez pour notre objet. Il faut citer ces vers qu’il trouve si beaux, et qui sont en effet remarquables. Une réserve pourtant avant tout : en fait de poètes et d’écrivains, chaque nation est, ce semble, le premier juge des siens ; si grand que soit Goethe, cela ne le rend pas un arbitre plus

  1. Des Hommes célèbres en France au dix-huitième Siècle, traduit de Goethe par MM. de Saur et de Saint-Geniès (Paris, Renouard, 1823), page 102.