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mule saint-simonienne que la lutte doit faire place à la paix, ou l’antagonisme à l’association. Tout cela veut dire que tôt ou tard, aux temps où l’on se dispute succèdent les temps où l’on est d’accord. Cette vérité un peu vague est ce qui ressort de plus positif du saint-simonisme et des doctrines affiliées ou rivales. Quant aux conditions de la paix, quant aux bases de l’association, c’est-à-dire quant à l’histoire de l’avenir, on a varié beaucoup, et cet avenir a été plus promis que décrit, plus caractérisé que raconté. Cela est tout simple ; en pareille matière, l’esprit de l’homme peut tout au plus prévoir le but, jamais les moyens. Si des inductions générales il arrivait à des inductions positives, il s’élèverait de la conjecture à la prophétie, et la science passerait à l’état de religion. C’est pour cette raison entre autres que le saint-simonisme s’est efforcé d’être une religion ; mais il a expiré dans ce grand effort.

Ainsi, il est resté critique, et dans sa critique a résidé toute sa force. Il a jugé les systèmes contemporains, à savoir, la philosophie dite du XVIIIe siècle, la politique constitutionnelle, l’économie politique, et ce qu’on a appelé l’éclectisme. Dans ces quatre systèmes, il a cru trouver ou du faux ou du vide. Dans la guerre engagée contre les opinions du passé, il a signalé un état forcé, douloureux, transitoire, qui trouble et paralyse l’humanité. Par l’examen de beaucoup d’opinions légèrement reçues, il a fait un bien réel ; il a ébranlé quelques préjugés fraîchement construits et vieilli quelques jeunes erreurs. Mais ce succès n’est qu’une destruction de plus, et de nouveaux doutes sont peut-être les traces les plus durables qu’il ait laissées après lui.

Lorsque en effet il a voulu fonder, lorsque les opinions sociales ont prétendu être dogmatiques, le faible a reparu. Quelques vues sur le passé et une polémique subversive contre le présent ne suffisent pas pour constituer une science spéculative ou une réforme organique. Dans les essais ou inventions qui devaient engendrer la société future, il a toujours été facile de reconnaître une imitation des formes du catholicisme, un plagiat de son histoire, la singulière prétention de refaire un moyen-âge avec la révolution française pour point de départ.

Aucun des plans de réorganisation sociale n’est encore en voie de réussir, et il serait oiseux de discuter des idées qui ne vivent point. Une seule observation nous importe, c’est que le saint-simonisme s’est toujours ressenti de l’inconvénient d’avoir procédé exclusivement de considérations historiques. À ne juger l’humanité que dans son ensemble, on risque de ne connaître que superficiellement la