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à l’esprit humain quelques idées, quelques formules ; toutes ont ébranlé quelques-uns des préjugés de l’époque, et semé quelques vagues idées de réforme et de réorganisation, qui défraient en ce moment la plupart des écrivains sectateurs du progrès, soit philosophes, soit historiens, soit romanciers. À les entendre, il semblerait qu’un changement plus étendu et plus profond que la révolution même s’est opéré dans les esprits, que tous les préjugés du siècle ont cédé, et que la pensée et la société à sa suite est définitivement entrée dans une voie obscure et nouvelle, qui conduit vers un grand but inaperçu et pressenti de tous. On peut soupçonner quelque exagération, quelque présomption dans ces promesses que les livres font chaque jour à la société. On ne saurait répondre que des calculs tout littéraires n’entrent pour rien dans cet évangélisme tant soit peu vague, dans ces aspirations d’une foi inactive vers une régénération inconnue. Ces nouveaux dogmes, plus annoncés qu’enseignés, pourraient bien se réduire à quelques vues critiques sur les opinions que nous ont laissées la philosophie et la révolution du XVIIIe siècle. Peut-être que le talent, en faisant comme aujourd’hui si grande consommation de paradoxes, n’a fait que changer de lieux-communs, et rien ne garantit la réalité éventuelle de cette réformation des affections primitives du cœur et des relations fondamentales de la société. Ceux qui la prédisent n’ont guère acquis jusqu’ici par leurs œuvres le droit de trouver mesquines nos révolutions politiques, et misérables les changemens de constitution ou de dynastie dont nous avons eu la modestie de nous contenter.

Mais enfin il est certain qu’au-delà des idées politiques propres aux partis réels il existe des idées et des sectes qui, bien que diverses, composent un ensemble qu’on peut appeler le socialisme. Quoi qu’une raison sévère voulût rabattre de ces magnifiques anticipations d’un avenir qu’on prédit, mais qu’on ne prévoit pas, il y aurait injustice ou légèreté à regarder comme non avenues ces nouvelles questions sociales, ces nouvelles idées sociales, et surtout la direction intellectuelle qu’elles indiquent. Tout état des esprits mérite attention ; toute forme qu’ils affectent a sa raison. Même leurs caprices ont droit à l’examen ; et des opinions n’auraient aucune valeur en elles-mêmes, qu’elles devraient être étudiées pour les dispositions qu’elles attestent et les besoins qu’elles accusent. Ce que l’homme sait n’est souvent pas important ; ce qu’il cherche l’est toujours.

Le saint-simonisme a été la première phase de ce mouvement des esprits, et malgré les variations de cette doctrine, malgré les dissi-