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nature, selon leur pays et ses lumières, répètent ce grand mot de révolution. Tous veulent la révolution extrême ou mesurée, subite ou lente, violente ou pacifique. La révolution est partout, mais partout elle n’est pas la même. Cet orage universel, qui passe sur la terre, ne porte point en tous lieux les mêmes foudres, ni les mêmes torrens. Ici, il dévaste et creuse le sol inondé ; là, il s’éclaircit, il s’élève, et la terre qu’il a profondément sillonnée se montre plus riante et plus fertile. Ailleurs, un tonnerre sourd n’annonce encore que son approche ; plus loin, de vifs éclairs seulement fendent sans bruit les nuages. Sur ce sol aride pèse un temps obscur et lourd ; sur ces plaines rafraîchies tombe une pluie calme et féconde. Cependant tout le ciel est rempli du même météore, et le bruit comme le silence, la clarté du jour comme les ténèbres, les bienfaits comme les ravages, tout sort de la même cause, tout vient de la même tempête, tout signale la même saison de l’humanité.

Pendant long-temps, la raison humaine, en élevant des problèmes, en débattant des opinions, a cru n’agiter que des idées : aujourd’hui, avec les idées, elle remet en question les conventions, les mœurs, les lois, les institutions. Toutes ces choses sont à la fois ou successivement atteintes par l’esprit de révolution. La société tout entière suit le cours des idées, et tous les évènemens que le temps improvise, tous les accidens que le hasard amène, quand ils ne résultent pas directement du mouvement des opinions, sont bientôt repris, exploités par elles, et tournent à l’avantage ou bien au détriment des causes nouvelles que plaide l’esprit humain.

Dans cet état général de l’Europe civilisée, notre dessein est de rechercher si c’est à bon droit que les spéculations purement philosophiques seraient négligées, et si, au contraire, elles ne pourraient pas trouver encore une digne place, un rôle utile, une réelle influence.

Toute révolution change la société ou le gouvernement. Pour qu’un tel changement s’opère, il faut que le principe qui domine la société, ou maintient le gouvernement, ait été d’abord ébranlé. Un tel principe est ébranlé, lorsque la foi qu’il obtient, ou le respect qu’il inspire chancelle, et que l’examen a commencé à porter la sape à ses fondemens. En général, le principe d’une société ou d’un gouvernement est une religion, une tradition (la religion elle-même en est une), ou quelque grand et vieil intérêt que son antiquité a élevé au titre de droit, ou quelque habitude nationale qui est devenue une vertu publique. Il est rare qu’un gouvernement ou une société