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des choses s’élevant à celle de l’être des êtres, elle a reçu de Leibnitz le nom de théodicée[1].

La philosophie, c’est tout cela.

Dans ce peu de mots, on doit entrevoir comment nous avons pu dire, en commençant, que la philosophie est éminemment l’étude de l’esprit humain. En effet, bien que l’esprit humain ne paraisse que l’instrument de nos connaissances, la description et l’examen de cet instrument sont nécessaires, non-seulement pour les classer et les ordonner, mais encore pour les vérifier ; l’étude du moyen est ici inséparable de celle de l’objet, et, à rechercher comment nous savons les choses, on découvre ce que nous savons des choses. Deux exemples montreront comment la science de la pensée intéresse ainsi celle de l’être.

Il y a une faculté de l’esprit que l’on peut appeler la faculté d’abstraire. C’est par elle que nous détachons certaines qualités des objets divers où nous les avons observées, que nous formons de ces qualités des idées, et donnons à ces idées des noms. Ces idées sont les idées abstraites de la logique ; ces noms, les noms abstraits de la grammaire. Ainsi, une qualité remarquée dans tous les objets solides a pris le nom de solidité ; une qualité commune à tous les objets blancs s’est appelée la blancheur. La solidité et la blancheur sont des abstractions. Ces abstractions ne sont pas des choses réelles, un enfant sait cela ; elles n’existent, comme on le dit, que dans notre esprit. Ce point bien connu et bien établi, supposons que l’on s’occupe de faire la revue de nos idées, ce qui n’est déjà, remarquez-le bien, qu’étudier l’esprit humain ; on rencontre une idée fort importante, l’idée d’espace, et, pour la classer, on se demande à quelle sorte d’idées elle appartient. Eh bien ! s’il arrive que l’on démontre, comme l’ont cru faire quelques philosophes, que l’idée d’espace soit une abstraction du genre de celles que nous venons de citer, il en résulte forcément que l’espace n’existe pas, car les abstractions, avons-nous dit, ne sont pas des choses réelles.

L’espace n’existe pas ; voilà une notion qui appartient à la science de l’être, à la connaissance des choses, à l’ontologie. Et comment

  1. Ces distinctions ne sont pas rigoureuses. Très souvent, sous le nom de métaphysique, on comprend la psychologie, l’ontologie et la théodicée, ou la philosophie entière, comme on appelle quelquefois du nom de géométrie toute la science mathématique. Cependant on ferait bien de réserver celui de métaphysique pour la science des choses en elles-mêmes, la physique étant la science des choses telles qu’elles sont observées.