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REVUE. — CHRONIQUE.

sans doute en attribuer la cause à la bonté de ses mœurs et à ses habitudes spéculatives. Il s’y passe, dans les sphères de la raison pure, des dérèglemens effrénés qui, s’ils se convertissaient en actes, ne laisseraient pas pierre sur pierre de l’édifice social. Cependant il est difficile que les peuples vivent long-temps, comme les philosophes, d’une vie abstraite, et la révolution française a donné au monde une leçon trop solennelle pour que les rois l’oublient et la négligent. Reges, intelligite. C’est pourquoi, dès que la paix eut été rendue au monde, on vit, dans tous les pays protestans, le principe de l’autorité réagir et se contracter. La royauté prussienne continuant son œuvre héréditaire, fit faire un pas immense à l’unité politique de l’Allemagne en réunissant les confessions diverses, et en les fondant dans une seule religion. Ce mariage mixte se fit, il y a vingt-cinq ans, par ordonnance royale. Le 30 octobre 1817, le roi de Prusse[1] célébra la fête séculaire de la réformation en réunissant l’église luthérienne et l’église calviniste en une seule église évangélique chrétienne ; et dans une cérémonie publique, à laquelle assistèrent le roi, la cour, la garnison et les grands corps de l’état, les deux confessions célébrèrent un office en commun, où le pain sacré fut distribué par un ministre luthérien, et le calice par un ministre réformé.

Sauf quelques luthériens fidèles qui protestèrent par l’exil et l’émigration contre cette atteinte à la liberté de leurs consciences, la Prusse passa sans murmurer sous ces fourches caudines. Aujourd’hui encore, les confessions protestantes se taisent ; et cependant, cette communion qui leur fut imposée, il y a vingt-cinq ans, n’était rien auprès de l’affront qu’on leur fait subir en ce moment : car alors, en se réunissant, elles restaient encore allemandes, elles gardaient leur nationalité, leur drapeau ; aujourd’hui, on les dénationalise, on leur met la cocarde anglaise. Nous verrons la part qui leur a été faite dans l’œuvre commune de l’évêché de Jérusalem.

La cour de Prusse avait fait un premier pas vers l’unité du dogme, en réunissant les deux branches de l’église réformée ; elle fit un autre pas vers l’unité du culte, en introduisant l’épiscopat dans le protestantisme. Mais cette institution, ainsi créée et mise au monde par la volonté royale, participait encore du vice protestant, l’isolement. Le roi de Prusse se tourna donc vers celle des églises réformées qui avait le mieux conservé les formes de la tradition et de l’hérédité épiscopales.

Il chargea, dit-on, le chevalier de Bunsen, son ministre à Londres, d’exprimer à l’archevêque de Cantorbéry son désir d’établir une union plus étroite entre les deux églises de Prusse et d’Angleterre. Le moyen qui se présentait le plus naturellement était d’introduire dans l’église évangélique un épiscopat régulier comme en Angleterre, mais cette démarche fut considérée comme trop décisive, et l’on mit en avant l’idée de consacrer un évêque commun sur un terrain neutre. Les évêques anglicans accueillirent favorablement les ouvertures du roi de Prusse. L’archevêque métropolitain de Cantorbéry

  1. Guillaume III, père du roi actuel.