Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/483

Cette page a été validée par deux contributeurs.
479
REVUE MUSICALE.

a tout ce ramassis de toiles d’araignées dont on s’est constitué d’enfance le gardien vigilant ? Si Rossini eût consenti à se soumettre aux lois canoniques de l’école, s’il eût bien voulu, lui le génie et la lumière, se faire pour un jour obscur, embrouillé, ténébreux, s’envelopper d’un triple voile de fugues et de contre-point, la question religieuse n’eût pas même été agitée un seul instant ; nous ne répondons pas cependant que les mêmes gens n’eussent trouvé alors ingénieux de regretter dans sa musique ces qualités d’animation et de couleur, cette force dramatique et mélodieuse qu’ils lui reprochent à cette heure. Ce qu’on ne pardonnera jamais au grand maître, c’est d’avoir osé être clair en écrivant pour l’église, c’est l’admirable transparence de cette instrumentation de cristal où les mélodies tremblent à l’œil nu comme de célestes étoiles ; c’est, en un mot, d’avoir compris son temps et levé les mystères.

Maintenant, Rossini poussera-t-il plus avant ses excursions dans le genre sacré ? Faut-il voir dans le Stabat qu’il vient de produire une œuvre isolée, un fragment, ou le prélude de quelque splendide renaissance ? L’avenir en décidera, et nous nous en remettons là-dessus à la libre inspiration du grand musicien ; car rien ne nous semble plus indiscret et plus ridicule que ces sollicitations éternelles qu’on a pour coutume d’adresser au génie, et qui, lorsque celui-ci se refuse d’y répondre, se donnent les airs de tourner à l’amertume, que sais-je ? même à la réprimande ; comme si, parce qu’un homme a écrit vingt chefs-d’œuvre, parce qu’il a inventé toute la musique de son temps, il ne pouvait se reposer, lui aussi, et vivre un peu dans le recueillement et l’oubli. Quoi qu’il en soit, fragment ou prélude, le Stabat de Rossini restera comme une œuvre musicale du plus haut intérêt, comme l’expression religieuse d’une intelligence qui s’est manifestée déjà sous tant de faces, et qui, dut-elle s’arrêter là, aurait du moins prouvé que la retraite et l’isolement, bien loin de l’amoindrir, l’élèvent encore et la fécondent, et que l’oisiveté, pour elle, est le recueillement de la méditation.


***