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LA REPRISE DU CID.

peut confier ce personnage à un acteur dont la chaleur d’ame a survécu aux forces physiques, tels qu’étaient dans leur temps Monvel et Joanny.

La Comédie-Française a profité de cette reprise pour réintégrer dans le Cid plusieurs passages qu’on avait depuis long-temps l’irrévérencieuse habitude de retrancher. La pièce ne commence plus brusquement par la querelle inintelligible de don Diègue et du comte. On a rétabli la première scène entre Chimène et Elvire, telle que Corneille, fatigué par les critiques, crut devoir la refaire en 1664. C’est quelque chose ; mais ce n’est pas encore assez. J’aurais voulu, pour ma part, qu’on eût suivi les indications judicieuses de Voltaire, et que la pièce s’ouvrît, comme avant 1664, par l’entretien d’Elvire et du comte, qui forme une courte et claire exposition. Voltaire, qui a inséré les deux scènes anciennes dans son édition de Corneille, engage les comédiens à jouer ainsi la pièce. « Il me semble, dit-il, que, dans les deux premières scènes, le sujet est beaucoup mieux annoncé, l’amour de Chimène plus développé, le caractère du comte de Gormas mieux indiqué… » À ces raisons excellentes j’ajouterai une considération qui me paraît déterminante : c’est qu’en ouvrant la pièce par la scène d’Elvire et du comte, on donnerait un peu plus d’intérêt à l’entretien qui lui succède entre Elvire et Chimène, tandis que cette petite scène, placée au lever du rideau, comme elle l’est à présent, a nécessairement tous les inconvéniens d’une exposition, à savoir la froideur et l’obscurité.

Cette requête que je présente, en toute humilité, à la Comédie-Française, est assurément bien modeste : il ne s’agit que de trente-deux vers. D’autres ont été bien plus hardis. J’ai entendu émettre le vœu, qui a été répété par plusieurs journaux, de rétablir les deux rôles de l’infante et du page. J’avoue que, si on ne demandait ce rétablissement que pour une soirée extraordinaire, pour une représentation à bénéfice, par exemple, je l’appuierais de tous mes vœux. Qui ne serait charmé de voir, au moins une fois en sa vie, le Cid joué tel qu’il est sorti des mains de son auteur, dût-on le trouver un peu long ; mais je ne pense pas que la réintégration permanente de ces deux rôles, si universellement condamnés, servît en rien à la gloire de Corneille ni aux plaisirs du public. Le retranchement de cet épisode n’a pas été décidé à la légère. C’est vers 1734, après environ cent ans d’épreuves, que la Comédie céda enfin au vœu général. Rousseau, le lyrique, fut chargé des coupures. Il n’ajouta que deux vers au second acte et deux autres au cinquième, et s’ex-