Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/464

Cette page a été validée par deux contributeurs.
460
REVUE DES DEUX MONDES.

tonie qui est son écueil, de lui mieux conserver toute sa perfection idéale et, si j’ose le dire, toute sa chasteté attique ?

Ce que j’admire précisément le plus dans Mlle Rachel, c’est ce pouvoir qu’elle a de se transformer, et sans quitter jamais les pures régions de l’idéal, de se créer dans tous ses rôles un maintien, une marche, un port de tête, une voix, des gestes, un regard, toujours différens. Aujourd’hui Grecque et comme modelée sur un bas-relief antique, on dirait une vierge des Panathénées ; demain Romaine et d’une contenance plus sévère, on dirait la Plotine ou la Julia Pia du musée du Capitole. Une autre fois, sultane altière, ou plutôt esclave ingrate et révoltée, elle trahit dans ses brusques mouvemens l’impatience d’une passion sans frein et qui sera sans pitié. Dans Polyeucte, au contraire, c’est la réserve pudique d’une jeune femme, chrétienne même avant le baptême. Bien des qualités, sans doute, sont nécessaires à la perfection de l’acteur tragique ; mais la première de toutes, à mon avis, celle par laquelle excellaient Lekain, Talma, Garrick, et que Mlle Rachel possède à un degré plus éminent qu’aucune des actrices que nous ayons vues, c’est l’art de saisir le trait dominant et poétique d’un caractère ou d’une passion, de l’exprimer avec justesse et de subordonner, sans exagération, tous les détails et tous les effets du rôle à l’expression idéalisée de ce trait principal. Composer ainsi un rôle et le soutenir au milieu de toutes les situations, exige de l’acteur, outre l’inspiration du moment, sans laquelle il n’y a rien, une réflexion aussi attentive et des études aussi patientes que celles que nos grands peintres sont obligés d’apporter à l’exécution d’un de leurs chefs-d’œuvre. Et l’on s’étonne que Mlle Rachel ne nous fasse jouir chaque année que de deux ou trois de ces créations si difficiles et si admirables ! On est moins exigeant pour MM. Ingres et Paul Delaroche.

Quatre représentations du Cid ont eu lieu depuis dix jours et avec un succès qui va croissant. Je dois dire, pour être historien véridique, que l’effet de la première représentation n’avait pas été entièrement satisfaisant. Chimène, un peu troublée de la grandeur de sa tâche, tout en dessinant bien l’ensemble du rôle, était néanmoins visiblement dominée par l’émotion de ce début. Ce n’est pas nous, assurément, qui lui ferons un reproche de cette crainte respectueuse. Nous la féliciterons plutôt d’avoir conservé au milieu de ses succès une assez sainte idée de l’art pour trembler au moment de prêter sa voix à un tel chef-d’œuvre. Dès la seconde soirée, la confiance, et en même temps la libre disposition de tous ses avantages, lui sont re-