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sions, d’oublis, de faits niés et affirmés tour à tour, de caractères ébauchés d’une manière et terminés d’une autre.

Ce nouveau romancier, Ainsworth, auquel on a voulu faire une réputation, préfère la violence à la vérité, l’effet à la logique, et la hardiesse du coup de brosse à la perfection de l’art. Chef de l’école « exagérée, » et de ces écrivains que les Allemands appellent les écrivains de la foudre et de l’éclair, il se place de préférence dans l’exception ; il cherche le bizarre et l’extraordinaire. C’est ainsi qu’il a tour à tour écrit l’histoire d’un voleur, d’un assassin et d’un charlatan, usant toujours de couleurs forcées et rudes, quelquefois atteignant l’effet qu’il recherche sans cesse ; s’adressant au gros du peuple, aux communes intelligences, à celles que l’exquis fatigue. Dans son dernier roman, histoire enjolivée, mais non embellie de la malheureuse Jeanne Gray, ses personnages favoris ne sont ni cette charmante et triste créature, ni Élisabeth, ni Marie, mais un pauvre nain difforme, appelé Xit, et trois géans, gardiens de la Tour, Og, Gog et Magog, fils bâtards de Henri VIII et d’une poissarde, à ce que prétend l’auteur. Belles inventions, que naguère nous aimions en France, et que maintenant nous repoussons du pied comme trop faciles. Voilà les personnages auxquels Ainsworth a donné le plus de soin, qu’il a entourés de tout son amour, et auxquels il revient le plus souvent. Un nain entre trois géans lui plaît beaucoup ; nous ne voyons pas, en vérité, ce qu’une création de ce genre renferme de gai ou de sublime. Il eût mieux valu faire agir et penser d’une manière digne d’elle cette fille charmante, à l’ame ardente et noble, à l’esprit sagace et droit, d’une haute vertu, d’une beauté d’ange, qui ne jouait point l’héroïsme, et qui était un héros : — Jeanne Gray. L’histoire moderne n’a pas de nom comparable au sien. Il n’y a pas d’autre exemple d’une vierge de dix-sept ans exécutée par ordre de sa cousine, pour avoir obéi à son père, à ses proches, aux évêques, aux nobles et à l’élite du royaume. On ne s’arrête pas sans tristesse en face du beau portrait de Jeanne Gray qui se trouve dans la collection de Lodge ; quelle vive douceur, quelle spirituelle ingénuité, quelle élégance fine, quelle beauté gracieuse ! « Sa mort, comme l’a si bien dit Mackintosh, suffirait pour honorer et déshonorer un siècle. » En intitulant sa fiction la Tour de Londres, et non Jeanne Gray, le romancier anglais a prouvé qu’il ne comprenait même pas son sujet.

Ainsi le mouvement de la presse anglaise, pendant l’année 1841, a été nul et frivole dans le roman ; nous le verrons tout à l’heure théologiquement sérieux jusqu’à l’ennui.