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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

constamment sur leur sein. Chez les musulmans, au contraire, le soin des enfans comme celui du ménage est, dans les bonnes maisons, confié aux esclaves. C’est grace à ces mœurs austères, à ce culte profond du foyer, que les familles gréco-slaves ont toujours été préservées d’une extinction absolue, malgré les avanies et les proscriptions les plus affreuses. Les hommes peuvent périr dans la tempête, mais la femme reparaît près d’un berceau ; génie inviolable du foyer, elle y reste pour en ranimer les cendres.

Pour des peuples qui comprennent si difficilement encore les idées générales, le seul mode de gouvernement qui convienne est le système fédératif, ou celui de nos municipalités du XIIIe siècle. Toutefois, il ne pourrait s’établir que parmi les habitans des îles et des côtes, là où se sont formées des cités. Les Gréco-Slaves de l’intérieur mènent encore la vie de clan, et ne peuvent être groupés que par tribus soumises chacune à une administration particulière. Ce n’est pas notre faute si ces faits portent en eux la critique complète du hatti-cherif de Gulhané, que l’Europe s’est trop hâtée d’applaudir. Absorbé dans les intérêts locaux, le Gréco-Slave ne peut saisir nos idées collectives de pays et d’état ; il ne vit que pour sa religion, sa tribu, sa famille, son lieu natal. Aussi, qu’on attaque ces suprêmes objets de son culte, il les défendra comme un héros, au besoin comme un tigre. Voyez le Monténégrin, le Souliote, les glorieux brigands du mont Ida crétois et de l’Olympe.

Loin d’éprouver nos besoins de luxe, de nivellement sous un code unique, et d’indépendance personnelle, ces peuples en sont donc encore, pour la plupart, aux mœurs originelles, à l’âge de Thésée et des Argonautes, à l’âge d’une Iliade chrétienne. Ils ne réclament pas notre repos d’hommes mûrs ; leur exubérante adolescence ne rêve, au contraire, que luttes morales et physiques contre tous les genres d’oppression ; ils en sont toujours aux croisades contre l’impur islam, à la chevalerie, dont le mystikos, roi de la mer, et le klephte, roi de la montagne, continuent les exploits. Leur nationalité exclusive résiste à toute transaction ; ils restent aventuriers et fanatiques ; ils repoussent tout joug étranger. La seule chose que l’Europe prosaïque et sceptique puisse tenter, c’est de contenir dans de justes limites cette noble fougue, car rien de notre sagesse consommée, de nos codes laborieusement conçus, ne peut convenir à ces populations jeunes, à ces démocraties héroïques, restées dans l’état grossier, mais puissant, que chantait Homère.

De là deux conséquences que la politique pratique ne doit pas négli-