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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

le géronte dirige les travaux, garde la caisse, fait les prières, paie les tributs à Dieu et à l’empereur. Si la famille vient à n’être plus contente de son chef, ou si l’âge a affaibli ses facultés, elle en proclame un autre. Quand plusieurs familles ne sont plus assez nombreuses pour pouvoir vivre chacune isolée et indépendante, elles s’agglomèrent en un seul lieu, et jurent le zadrouga, serment qui les oblige à s’entre-défendre. Telle est, dans la Bulgarie, l’origine de toutes les municipalités ; les cabanes sont réunies, et une haie commune sert de rempart. En Serbie, au contraire, les huttes sont éparses, cachées dans l’épaisseur des bois et dans les gorges des montagnes, et les Turcs, même au temps de leur puissance, ne se hasardèrent jamais près de ces villages que par troupes considérables car si le mahométan avait pour maxime qu’il est permis de tuer un ghiaour, le Serbe de son côté ne croyait pas pécher en tuant un Turc. Le staréchine de chaque famille distribue à ses enfans et à ses frères les vêtemens et la nourriture ; il les réprimande quand ils ont commis des fautes. Prêtre du foyer, aux grandes fêtes il prend l’encensoir, et, entouré des siens, encense l’iconostase, autel des patrons de la race. Aux repas sacrés de l’Épiphanie et de Pâques, un cierge brûle devant lui, et chacun vient respirer la fumée de la cassolette d’encens qu’il tient durant la prière.

Ainsi le foyer vital de la civilisation de l’Orient est la famille : sur cette petite république patriarcale est modelée toute la hiérarchie administrative. Les staréchines de plusieurs villages, rapprochés par l’intérêt, la position, les besoins, élisent pour présider leur tribunal de police un d’entre eux, qui prend le titre de knèze ou prince. La grande cabane de ce prince, appelée konak (palais), est le plus bel édifice de la knéjine ou principauté ; elle est ceinte de palissades avec des tchardaks pour les juges, et des huttes pour les momkes, soldats, exécuteurs des arrêts. La sentence est subie sur l’heure, à moins que le condamné n’en appelle à l’évêque, au pacha, ou si c’est en Serbie, au sénat de la contrée. Quand il s’agit d’asseoir un nouvel impôt, le visir ou la régence chrétienne, s’il y en a une, n’a d’autre moyen légal, pour obtenir le concours des familles, que de convoquer une assemblée générale de tous les staréchines : alors chaque famille envoie son chef voter ce qu’elle a décidé elle-même dans le cercle domestique. Ces parlemens, appelés skoupchtinas, deviennent ainsi l’organe en dernier ressort de la volonté du peuple, et les fidèles gar-