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sement à l’association, à la vie communale, aux formes représentatives. Redoutant l’impuissance de l’individu livré à lui-même, ils agissent toujours ensemble, et s’unissent pour la moindre entreprise. Sauf les époques d’anarchie et d’illégalité, la commune orientale s’est toujours administrée elle-même, nommant ses propres juges et les percepteurs de l’impôt. Il en était ainsi sous l’empire grec, et les sultans, avant la réforme, maintenaient de tous leurs efforts cet état de choses. Les kalifes arabes s’étaient empressés d’introduire dans leurs codes ce principe fondamental des antiques libertés grecques, d’après lequel toutes les charges imposées aux localités par le gouvernement central, en y comprenant la levée des recrues militaires, doivent être réparties dans chaque commune par la commune même. De cette manière, une fraternelle solidarité avait pu s’établir entre les membres de la commune, devenue une grande famille ; mais à ce degré s’arrêta le développement de la civilisation gréco-slave, et encore aujourd’hui ces peuples ne conçoivent que très confusément les idées générales d’empire, d’état, de religion. En revanche, ils ont conservé beaucoup mieux que les Occidentaux les traditions locales et les observances héréditaires, en un mot, les mœurs. Un fait remarquable n’a pas peu contribué au maintien des vieilles coutumes : c’est le respect que les Gréco-Slaves vouent aux vieillards, et l’influence que ceux-ci exercent parmi leurs concitoyens. Tout raya de soixante ans ne paie plus de haratch, et le Turc même qui le rencontre lui passe la pipe et lui sert le café. Une telle déférence pour l’âge assure au père une autorité qu’il n’a point parmi nous. Cette royauté domestique et l’obéissance des enfans aux désirs des anciens, que leur âge rend amis du repos, servent de frein à l’ardeur inquiète qui entraîne l’Oriental vers la vie nomade, et opposent un puissant remède à cette fièvre d’individualisme qui mine la société européenne.

Il ne faut qu’examiner rapidement les institutions de ces peuples pour se convaincre qu’elles sont restées à l’état patriarcal. Souvent un village gréco-slave se compose d’une seule famille qui se gouverne elle-même, et ne communique avec les grands pouvoirs du pays que par son chef, en grec géronte, en slave staréchine. Ce juge ou père n’est pas toujours le plus vieux de la famille : son pouvoir lui vient de l’élection ; il a été placé sur le fauteuil par l’assemblée domestique, solennellement réunie sous les icones[1] héréditaires. On a choisi le plus sage, le plus expérimenté, et c’est en vertu de ce mandat que

  1. Images saintes