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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

se vend à la campagne pour cent ou deux cents francs. Ces constructions gréco-slaves, qu’on retrouve chez les Mongols et les Tatars, s’élèvent prodigieusement vite, et l’on conçoit que le peuple en fasse sans grande peine le sacrifice, comme lors de l’incendie de Moscou. À Andrinople, deux mille boutiques brûlèrent en 1837 ; elles étaient rebâties deux mois après ; à Bitoglia, un même nombre de maisons, brûlées en 1836, étaient toutes relevées l’année suivante. Les monumens des villes orientales les plus importans après les temples sont les fontaines ; dans les villages même, il y en a de très belles. Les fontainiers, sou-teratsi, forment une corporation presque exclusivement composée d’Albanais du canton de Drinopolis, au nord-ouest de Janina, lesquels exercent leur métier de père en fils dans tout l’empire. Cette tribu a réellement acquis une grande habileté dans l’art d’amener à peu de frais les eaux des plus grandes distances ; elle remplace d’ordinaire l’aqueduc aérien par des conduits souterrains, et, pour rendre à l’eau sa force ascendante perdue dans les vallées, elle bâtit des pyramides hydrauliques nommées taksim. On rencontre de ces pyramides dans toute la péninsule.

Par suite de l’incurie ottomane, les rivières sont dans un état déplorable ; des bancs de sable, des digues de troncs d’arbres amassés par l’ouragan, les barrent en tous sens, et cependant il serait facile de faire sillonner la plupart de ces cours d’eau par de légers bateaux à vapeur qui mettraient l’intérieur du continent en communication avec la mer. Aujourd’hui, les rivières de la péninsule ne peuvent pas même porter des bateaux ordinaires ; on n’y voit que des trains, ou la caïk (l’antique monoxylon), nacelle formée d’un seul tronc d’arbre creusé, et dans laquelle trois ou quatre personnes au plus peuvent se tenir accroupies, car le moindre faux mouvement ferait chavirer une caïk. Les routes ne sont pas en meilleur état, ou plutôt elles sont à peu près défoncées. Çà et là dans les provinces on rencontre des fragmens de voies pavées, qui au bout d’une lieue ou deux se cachent de nouveau sous l’herbe ou dans les broussailles. Ces voies démantelées ne sont que des sentiers fort étroits (en grec monopatia), c’est-à-dire pratiqués pour un cavalier seul, et il faut plaindre le voyageur forcé de suivre ces routes à pierres aiguës, à trous profonds. Il est vrai qu’on y peut reconnaître la merveilleuse sûreté du pied des chevaux slavo-grecs, qui allongent en tâtonnant leurs sabots garnis de fers pleins et bombés, à peu près comme ces chats dont quelque enfant malin a collé les pattes dans des coquilles de noix. Mais rien n’approche des skela, chemins-escaliers, ébauchés plutôt