Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
388
REVUE DES DEUX MONDES.

long-temps tributaire des sultans, présente également un inextricable labyrinthe de défilés, dont les maîtres, s’ils sont indigènes, arrêteront sans peine les plus fortes armées d’invasion. Mais ces monts, d’où l’on domine le Danube, ont été cédés à l’Autriche, qui, le long des abîmes, a su ouvrir des routes pour son commerce et ses canons. Telles sont les chaussées de Botsa, de Voulkan, de Torzbourg, et cette route fameuse connue sous le nom de Chemin Carolinien, ouvrage immense, espèce de Simplon créé par un ingénieur français, Stainville, et couronné par le vieux donjon gothique dit la Tour Rouge, phare de tant de batailles livrées entre l’Orient et l’Occident. Les garnisons autrichiennes occupent tous ces passages ; les montagnards sont Valaques, de religion grecque ou orientale, et sympathisent mieux avec leurs coreligionaires qu’avec leurs maîtres allemands.

La plaine, en Valachie, a partout une prodigieuse fécondité, et la montagne renferme des mines qui furent long-temps et redeviendraient peut-être le Pérou de l’Europe. Les Russes, sous l’administration du général Kisseleff, en ont levé la carte géologique, mais leurs découvertes sont restées ignorées des Valaques même. On sait seulement qu’il y a du minerai de cuivre à Krasné, de vif-argent à Pitechti, de charbon de terre à Gesseni, d’asphalte à Poutchessa, de l’or et de la poix minérale à Korbéni, du soufre et de l’ambre jaune à la montagne Deale de Roche. Ces trésors restent enfouis ; les salines seules sont activement exploitées, et donnent à l’état plus de 15 millions de piastres par an. Les majestueux Karpathes, où s’accomplit la fusion de la race slave et de la race latine, portent sur leurs versans les plus belles forêts de l’Europe. Toutefois le Grec qui arrive dans ces contrées transdanubiennes doit ressentir une triste impression : il ne retrouve plus le climat de la péninsule, il entre dans une nouvelle zone physique et morale, où s’annonce dès l’abord l’influence directe de la Russie. Un froid montant jusqu’à 26 degrés, une abondance extraordinaire de neige, sur laquelle les traîneaux roulent pendant quatre mois, une aristocratie de boyards fortement constituée, une population champêtre dégradée par la servitude, et la steppe nue qui déjà, en Moldavie, s’ouvre immense ; tout lui dit qu’il a atteint ses colonnes d’Hercule. Les villes, au lieu d’être pavées, sont pontées à la russe, avec des troncs d’arbres équarris ; le paysan moldave appelle son chariot kibitke, et son fouet knout, comme le paysan moscovite ; comme lui, il fait pompeusement ses charrois avec quatre chevaux, et ne possède pas même son propre foyer. Il n’est pas jusqu’à l’architecture