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reconstituer des peuples, il faut connaître leur génie, leurs formes sociales, leurs sympathies, leurs répulsions, et, par une étrange fatalité, la France a sur l’état des nations qui, bordant la Méditerranée et toute l’Allemagne à l’est, pourraient, en cas de guerre, lui être d’un si grand secours, des notions bien moins précises que sur l’état de l’Inde ou de l’Amérique.

Les géographes grecs du commencement de ce siècle donnent à l’empire turc 32 millions d’habitans : quelque réduite qu’ait été depuis ce temps la population turque par les guerres et les pestes continuelles, on ne peut guère l’évaluer à moins de 24 millions, parmi lesquels il faut compter au moins 17 millions de chrétiens, y compris ceux d’Arménie et de Syrie. Autrefois la Turquie d’Asie était plus peuplée et plus riche que la Turquie d’Europe ; on lui donne encore 192 habitans par chacune des 62,500 lieues carrées dont se compose son territoire ; on évalue l’ensemble de sa population à 12 millions d’ames, tandis qu’on n’en prête que 9,470,000 à la Turquie d’Europe, y compris même le royaume grec. Ces calculs sont tout-à-fait erronés. La population de l’Égypte ne dépasse pas 2 millions d’individus, et celle de la Syrie atteint au plus à 1,200,000. L’Arabie, la Turkomanie, le Kourdistan, font à peine partie de l’empire ; en Asie, la vie nomade a peu à peu morcelé les populations, au point de leur enlever l’idée même de la nationalité. La Turquie d’Europe présente un tout comparativement beaucoup plus compact : quoique ravagée en tous sens, elle contient 15 millions d’hommes, et, bien administrée, elle en nourrirait plus du double, puisque son territoire, qui est partout d’une étonnante fertilité, égale en étendue celui de la France. Pour cette partie de l’Europe, nos géographies sont malheureusement très inexactes. Ainsi, elles ne comptent, dans les provinces immédiates et directement soumises au sultan, qu’un million et demi de Slaves, tandis qu’il y a déjà 4,500,000 Bulgares, sans compter les Serbes de la Hertsegovine et de la Bosnie. Les Albanais sont également plus nombreux qu’on ne le pense en général : il doit s’en trouver en Turquie plus d’un million, et un nombre peut-être égal d’Hellènes, établis dans les divers districts de l’Albanie. Il en est de même pour les provinces médiatisées ou simplement tributaires. Sur les 1,500 lieues carrées de la Serbie, il faut placer, non pas 400,000 ames, mais 6 à 700,000. La statistique moldo-valaque dressée par les Russes en 1832 a également fait découvrir une population double de celle qu’on supposait sur les 800 lieues carrées de la Moldavie et les 4,810 lieues de la Valachie, quoiqu’il y en ait 1,337 en forêts. Le nombre