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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

de l’Oural. C’est là ce qu’on peut appeler le monde gréco-slave, parce que deux races, les Grecs et les Slaves, y ont constamment prédominé.

Dans l’Europe occidentale, la société ne s’est-elle pas également formée par le conflit et la fusion de deux races, les Latins et les Germains, qui, une fois organisées, sont allées de concert créer en Amérique un nouvel Occident, chrétien comme le premier, comme lui doué d’institutions latino-germaniques ? Or, de même que l’Europe occidentale, par la nature de sa position, déborde sur l’Amérique et l’Afrique, l’Europe orientale a toujours tendu, depuis Alexandre-le-Grand, à se déverser sur l’Asie. Comme ce barbare Germain qu’une voix intérieure appelait au Capitole, les Slaves se sentent attirés vers le Caucase, et les Grecs vers le Nil et l’Euphrate. Forte de son organisation monarchique, l’Asie du moyen-âge avait non-seulement repoussé l’invasion de ces peuples, mais réussi même à subjuguer les Grecs et les Slaves, morcelés en mille principautés. Ce succès fut encore facilité par l’absence de frontières, naturelles ou morales, entre le reste des Orientaux et les Gréco-Slaves. Ces derniers n’ont pu encore parvenir à oublier leur origine et à former une société aussi compacte, aussi distincte des autres familles de peuples que l’est l’Europe occidentale. C’est pourquoi l’on continue de désigner sous le nom général d’Orientaux, quoiqu’ils habitent l’Europe, les Grecs et ceux des Slaves qui suivent le rite grec et cette dénomination n’a rien que de juste, car quel voyageur n’a remarqué une étonnante différence de mœurs, d’idées, même de principes, entre les Européens de l’est et ceux de l’ouest ? Quand on dépasse Varsovie, Prague, Presbourg, Trieste, on voit l’Occident cesser tout à coup, et l’on tombe en plein Orient. En général, l’espace du 35e degré de longitude au 65e, où nous plaçons le monde gréco-slave, est un milieu vague, un champ de combat entre l’Europe et l’Asie.

La France continue à tort de voir dans les musulmans les seuls dépositaires de la civilisation orientale : ils n’ont plus qu’une moitié de ce noble dépôt, et la plus faible moitié. Au lieu de ne songer qu’à reconstituer la race arabe et turque, on aurait dû s’apercevoir qu’il y a aussi une chrétienté orientale à renouveler et à ranimer. Il ne faudrait pas tout espérer de quelques millions de Turcs, mais espérer un peu plus de deux grandes races, admirablement douées, qui sont l’ame des trois empires ottoman, russe et autrichien, qui ont transmis leurs dialectes, leurs mœurs, leur pensée sociale et en partie leurs rites religieux à cent millions d’Européens, y compris les petites