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LETTRES D’ORIENT.

pièce offre une couleur différente. Partout les dessins, les dorures, les ornemens abondent ; ce sont des ouvriers arméniens que l’on emploie, et ils se distinguent par leur habileté. Je ne cacherai pas qu’en me voyant ainsi transporté dans ce mystérieux séjour, entouré de toutes les réminiscences orientales les plus gracieuses, je me suis surpris à envier pour quelques instans le sort d’un sultan ; la vertu la plus farouche succomberait à la vue de ce paradis de Mahomet. Les bains des sultanes et celui du grand-seigneur sont peut-être ce qu’il y a de plus original et de plus parfait dans tout le palais. Chacun de ces réduits, en beau marbre blanc, se divise en plusieurs pièces pour le bain, la toilette, le repos ; ils sont éclairés par des jours doux pratiqués avec symétrie dans les caissons des coupoles, formées elles-mêmes d’un stuc transparent ; des filets d’un bleu tendre dessinent chacun des caissons. Nous avons parcouru avec une égale attention les autres quartiers du palais ; celui de la représentation officielle est magnifique. Il y a une vaste salle d’audience, à plafond cintré et à colonnes, qui d’en haut est terminée par un hémicycle où le sultan s’assied, et de l’autre s’ouvre par de grandes portes sur le péristyle principal du palais, au pied duquel abordent les caïks. Cette salle est d’un très bon goût ; on y donnerait le plus beau bal du monde. Je ne puis t’énumérer tous les salons dont se composent les pavillons du palais ; tu sauras seulement que l’architecture des Turcs a cela de particulier, qu’elle s’applique à multiplier les angles, et par conséquent les vues. Comme ils passent leur vie sur des sophas, c’est leur manière de se remuer que de parcourir des yeux des aspects divers ; et Dieu sait si le Bosphore en a fourni l’occasion à l’architecte du palais de Tchiragan ! Aussi le côté des jardins est-il tout-à-fait sacrifié ; les jardins intérieurs ne consistent que dans des parterres à dessins contournés et entourés de buis ; ceux qui sont au-delà des serres, placées parallèlement au palais de l’autre côté d’un chemin public, s’élèvent sur la montagne, et m’ont paru insignifians. Je m’aperçois que, lorsque je ne comptais pas te faire une description de Tchiragan, je t’en ai donné une : prends-la pour ce qu’elle vaut. Le nouveau sultan habite un autre palais de l’autre côté du Bosphore, à peu près en face, et qui n’a rien de gracieux ; il n’est point décoré de colonnes comme le nouveau ; c’est un assemblage régulier de corps-de-logis tout d’une venue et peints en jaune. Les jardins seulement paraissent plus vastes et mieux ombragés.

À notre retour, la mer était assez forte ; à cet inconvénient pour notre léger caïk se joignait celui de nous croiser avec les barques