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derviches, à grand bonnet gris en forme de gâteau de Savoie, à robe flottante, y exécutent, sous la conduite d’un chef, diverses cérémonies, et principalement cette espèce de valse qui les a fait nommer tourneurs Ils tournent en effet au son de la flûte et du tambourin comme de véritables toupies d’Allemagne, les bras étendus et leurs robes enflées en cloche par le vent, pendant des demi-heures entières, avec une régularité inconcevable, sans jamais se heurter, ni même se toucher dans le cercle assez étroit qui circonscrit leurs exercices. Pendant ce temps, l’un d’eux, qui paraît chargé d’une fonction particulière, circule parmi eux d’un pas lent et aucun des tourneurs ne l’atteint même du bout du doigt ; leur habitude de cet exercice est telle que, lorsqu’ils s’arrêtent à un signal donné, ils ne chancellent point, et ne paraissent pas éprouver le moindre vertige. On remarque seulement qu’ils sont, en tournant, livrés à une sorte d’extase qui est sans doute le but de cet exercice. Tout cela se fait gravement ; c’est bizarre au dernier degré, mais point ridicule. Les derviches tourneurs jouissent d’une grande considération ; à diverses époques, le gouvernement a même redouté leur influence. À la sortie de la mosquée, le chef est accueilli par des démonstrations de respect, et les factionnaires lui portent les armes.

En sortant de la mosquée des derviches tourneurs, nous sommes allés en caïk à la promenade des Eaux-Douces, au fond du port, en longeant l’arsenal maritime. Nous avions choisi ce jour qui était un vendredi (le dimanche du pays), parce que c’est celui où les Turcs font leurs parties de campagne de ce côté. Il n’y avait pas une grande affluence ; mais nous avons pu juger cependant de ce que doit être ce lieu de réunion dans les grandes fêtes. Une petite rivière, qui se jette dans le port, parcourt le vallon des Eaux-Douces, qui n’a d’ailleurs rien de pittoresque. Quelques grands arbres çà et là et des prairies en font tout le charme. Des familles entières viennent s’y établir pour y prendre leur collation : les femmes d’un côté avec les enfans, les hommes de l’autre ; on y arrive en caïk, à cheval, et surtout en arrabas ; c’est la voiture du pays, mauvais berlingot à jour, sur quatre roues, grossièrement peint ou doré, recouvert d’une étoffe généralement rouge, et traîné le plus souvent par deux bœufs au pelage gris. Ces animaux ont la queue retroussée et rattachée à un cerceau orné de glands de laine de diverses couleurs. Déjà nous avions vu quelques arrabas à Brousse.

En revenant des Eaux-Douces, nous avons abordé, au quartier d’Eyoub, pour voir la mosquée de ce nom et la fondation de la sul-