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LETTRES D’ORIENT.

sin n’habite plus Constantinople depuis l’incendie de Péra, qui a eu lieu il y a sept ans, et qui a détruit tous les palais ; il est établi à Thérapia, village sur le Bosphore, à quatre lieues d’ici. C’est presque un voyage, mais le plus beau possible : le Bosphore est comme un grand fleuve, ou plutôt une suite de lacs, bordée de belles habitations, de villages pittoresques, de châteaux-forts ; une succession de tableaux les plus variés, les plus riches. Le seul reproche que je ferais aux rives du Bosphore, c’est que les sommités ne sont pas partout assez couvertes de bois. C’est par cette route que nous sommes allés à Thérapia avant-hier, dans un bon caïk à quatre rameurs. L’ambassadeur et Mme Roussin n’étant pas encore de retour d’une course qu’ils avaient faite à Constantinople, nous avons employé le reste de la journée à remonter jusqu’à l’entrée du Bosphore du côté de la mer Noire. Nous avions à la main un ouvrage de M. de Hammer, spécialement consacré à Constantinople et à ses environs, livre savant et exact comme celui qu’il a consacré à la Bithynie, Tout y est décrit minutieusement ; tous les souvenirs historiques, depuis le voyage des Argonautes jusqu’à nos jours, y sont rassemblés.

À l’entrée de la mer Noire, près du phare de la côte d’Europe, sont les îles Cyanées, roches volcaniques, visitées par Jason ; nous avons été y reconnaître, non sans quelque danger dans notre marche sur ces rochers escarpés, un autel antique élevé en l’honneur des divinités protectrices du navigateur. De là, nous avons vu s’étendre devant nous la nappe de la mer Noire. Un bateau à vapeur venait, en ce moment, de remorquer de l’entrée du Bosphore plusieurs navires, et, livrés désormais à eux-mêmes, ils déployaient leurs voiles, les uns dans la direction d’Odessa, d’autres dans celle de Trébisonde ou de la Colchide des Argonautes. On atteint Trébisonde en trois jours par bateau à vapeur ; le jour de notre arrivée à Constantinople, nous en avions vu un qui chauffait pour cette destination lointaine ; il était encombré de voyageurs. N’est-ce pas admirable ? Dans quel temps nous vivons ! La vapeur a fait une véritable révolution dans le monde. Nous sommes revenus à Thérapia par la rive gauche du Bosphore ; non sans nous être arrêtés auprès du château bâti par les Génois sur les ruines d’un ancien temple des douze grandes divinités, mais plus particulièrement consacré par les anciens à Jupiter-Urios (qui donne les vents favorables). C’est là que l’on venait sacrifier avant de s’engager dans la navigation périlleuse du Pont-Euxin.

En face de Bujukdéré, résidence de l’ambassadeur russe, sur la