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LETTRES D’ORIENT.

pire ottoman, c’est le Moscou des Turcs. Aussi cette ville porte-t-elle un caractère d’antiquité respectable. Là sont les souvenirs de la nation, ses anciens souverains y reposent, et la religion veille sans cesse auprès d’eux. Nous avons commencé notre tournée par le tombeau d’Orcan, le vainqueur de Brousse ; ces monumens se ressemblent à peu près tous, ce sont des édifices en rotonde ; sur une estrade sont placés des sarcophages en pierre ou en plâtre revêtus de riches étoffes : le turban et la ceinture sont déposés auprès de la tête. Je suppose qu’on renouvelle ces ornemens de temps à autre. Des prêtres sont chargés de réciter journellement des prières auprès de ces tombeaux. À côté de ces sarcophages, on en voit d’autres moins ornés et de diverses grandeurs : ce sont ceux des sultanes et des princes morts en bas-âge, la plupart de mort violente, suivant le procédé ancien qui avait pour but d’éviter les conflits de succession. Il serait trop long d’énumérer tous les monumens de ce genre que nous avons vus ; M. de Hammer, dans un ouvrage spécial sur Brousse, en a donné la description détaillée, ainsi que celle des mosquées.

La grande mosquée (Uloudjami) est grande et belle ; nous avons pris un plaisir infini à en examiner l’ensemble et les détails. Un certain nombre de Turcs y étaient rassemblés ; les uns priaient tournés vers la Mecque, les autres faisaient leurs ablutions à la fontaine de marbre placée au centre de l’édifice, d’autres étaient en contemplation, ou même dormaient tout de bon sur les nattes. Nous n’avions encore vu que les mosquées mesquines de Smyrne ; celle-ci nous a fait comprendre l’Orient religieux tout entier. Il y en a plusieurs autres très intéressantes aussi, notamment celle du sultan Bajazet, voisine de son tombeau, de ce même Bajazet qui fut renfermé par Tamerlan dans une cage de fer. Cette mosquée est située à l’est de la ville, sur un mamelon isolé, et elle est précédée d’un portique très élégant. Une autre, celle de Mahomet II, toute revêtue de fayence de couleur, a présenté à M. Texier un intérêt particulier ; du haut du minaret, on jouit d’une vue complète de Brousse.

Le Vieux-Château, ancienne résidence des premiers sultans, d’où l’œil embrasse toutes les parties de la ville, n’offre plus aujourd’hui que des pans de murs ruinés ; il a fourni à M. de Hammer une longue tirade à effet sur les magnificences orientales que ce lieu rassemblait jadis. Son imagination reconstruit les kiosques des sultanes, fait reverdir les ombrages et couler les fontaines au son des mandolines, comme au temps d’Orcan. Aujourd’hui un jardin potager, cultivé par une pauvre famille grecque, remplace tout cela.