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vallée du Grésivaudan en Dauphiné. Les noyers, les châtaigniers, les platanes gigantesques, forment la masse de la végétation avec les mûriers qui sont la principale richesse du pays ; tu sais que Brousse est assez célèbre par ses soieries.

Aujourd’hui chacun a fait une toilette complète, nous en avions tous besoin après tant de jours de courses continues. Le tailleur, le sellier, la couturière, ont été appelés au secours de nos effets délabrés ; après quoi nous avons fait sur la terrasse de notre maison un déjeûner des plus agréables, d’autant que de ce lieu on découvre toute la ville et ses environs : nous avions de la peine à compter le grand nombre des minarets qui s’élancent du milieu des édifices et de la verdure.

Nous resterons ici quelque temps. M. Herbet nous précédera à Constantinople ; il part demain matin, emportant nos lettres. La mort du sultan Mahmoud, que nous avons apprise hier en arrivant ici, l’a déterminé à hâter son arrivée dans la capitale de l’empire, afin d’y recueillir des informations sur les évènemens qui ont eu lieu ou qui se préparent.

Nous craignions d’abord que la mort du sultan ne fût le signal de quelques troubles, et que notre voyage n’en fût dérangé ; mais l’agent consulaire de France dans cette ville, M. Crépin, nous a dit que l’avénement du nouveau souverain, le jeune prince Abdul-Medjid, avait eu lieu sans la moindre opposition. Tout est calme à Constantinople comme ici ; personne ne songe à bouger : l’esprit janissaire paraît avoir été éteint complètement dans le sang de cette milice fameuse, et la nation est plongée dans une apathie telle que la prise même de Constantinople par les Russes ne la troublerait pas. Nos politiques de Paris vont sans doute s’évertuer sur les nouvelles du jour ; ils vont voir tout l’Orient en feu, et les grandes puissances européennes aux prises. Il y a tout à parier, au contraire, que le statu quo, si commode pour tout le monde, sera maintenu à grand renfort de protocoles. Notre pauvre France surtout n’est guère préparée à tirer parti des circonstances, avec son gouvernement si contesté. Quand on a chez soi des émeutes périodiques, on ne pèse pas beaucoup dans la grande balance. Cette idée me chagrine, en songeant au rôle que nous devrions jouer dans l’Orient, non pas sans doute pour y faire des conquêtes, mais pour y étendre notre influence et notre commerce.

Brousse, conquise par Orcan, a été pendant plusieurs siècles le siége de l’empire des sultans ; Brousse est la seconde capitale de l’em-