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d’avoir fait connaissance avec les contrées les plus faites assurément pour exciter une noble curiosité.

À peu de distance du village de Pambouk-Calessi, nous avons fait la rencontre de deux hommes de très mauvaise mine, qui nous ont adressé des questions assez inquiétantes sur notre route, sur l’argent que nous pouvions avoir. Nous avons cru un instant que nous aurions dans les montagnes voisines quelque petite aventure de mélodrame. À tout hasard, nous avons mis nos fusils et pistolets en évidence ; mais la rencontre s’est réduite à rien. Il est dit que j’entendrai toujours parler de brigands, et que je n’en verrai jamais, même en Asie.

Après neuf heures de marche assez pénible, dont un tiers dans la montagne et le reste dans une plaine insignifiante, mais pas trop mal cultivée pour la Turquie, nous avons gagné la ville d’où je t’écris en ce moment, Ala-Cheher, l’un des points, après Afioum-Karahissar, que nous laissons à l’est, où était autrefois concentrée la culture du pavot à opium. Cette industrie est aujourd’hui à peu près nulle. — Je ne puis te rien dire d’Ala-Cheher, si ce n’est que la ville est à moitié entourée de mauvaises murailles du bas-empire, que les abords immédiats en sont aussi dégoûtans de saleté que de loin l’aspect en est agréable. Toute cette matinée-ci a été consacrée au repos, à la toilette, dont nous avions tous excessivement besoin, et à la causerie.

Koulah.

Deux de nos compagnons sont allés voir le mutselim ou gouverneur d’Ala-Cheher, qui les a beaucoup fait fumer, mais ne leur a donné aucune information utile ; il est ce que les Turcs appellent une grosse tête, c’est-à-dire un homme de peu de moyens. Son collègue de Koulah, que nous avons vu le lendemain, est un tout autre homme, de même que sa ville est tout le contraire d’Ala-Cheher, c’est-à-dire remarquablement propre et mieux bâtie que ce que nous avions vu jusqu’alors. Le mutselim de Koulah est encore jeune ; il s’appelle Ismaël ; il est fils de Véli, ancien pacha en Thessalie. Ce Véli a eu la tête tranchée lors de la révolte du fameux Ali, pacha de Janina, dont il était gendre ; notre Ismaël est donc petit-fils d’Ali. Dès qu’il eut appris notre arrivée à Koulah, il s’est empressé de nous faire une visite ; nous l’avons reçu de notre mieux, et lui avons témoigné notre gratitude pour l’excellent logement qu’il nous avait fait donner, une des meilleures maisons grecques de la ville.