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LETTRES D’ORIENT.

et traverse ensuite une vaste plaine inculte. Au fond et adossées à une montagne sont les huttes de Pambouk-Calessi, habitées pendant l’été par des Turcomans. Il était nuit quand nous y arrivâmes. Nous nous casâmes comme nous pûmes, les uns dans une hutte, les autres sous l’un des deux seuls arbres de la localité ; l’autre servit d’abri à nos bagages, mais celui de nos domestiques qui était préposé à leur garde eut beaucoup à souffrir pendant la nuit des procédés inconvenans des cigognes perchées sur les branches. À la clarté de la lune, nous prîmes une première vue des cascades qui tombent de la montagne ; dès le matin, nous étions arrêtés à les contempler. Figure-toi des ruisseaux de lait tombant de près de deux cents pieds : je n’exagère point. Des sources abondantes d’eau thermale sortent du plateau qui domine la montagne et sur lequel était située la ville antique d’Hierapolis ; ces eaux, très claires à l’endroit où elles s’échappent du plateau, contiennent une énorme quantité de substance calcaire dissoute à la faveur d’une haute température et sans doute d’un excès d’acide carbonique. À mesure qu’elles coulent, la température s’abaisse, le gaz se dégage, et la substance calcaire se dépose en masses blanches, compactes, de toutes formes, par dessus lesquelles les eaux nouvelles se fraient des passages à mesure que les anciens canaux les repoussent en s’oblitérant. De même que, dans les cascades des glaciers, l’eau forme des stalactites de glace, ici l’eau se fige en pierre. La fontaine incrustante de sainte Allyre, auprès de Clermont, présente en petit le même phénomène ; il atteint ici des dimensions colossales. Dans la suite des siècles, les sources ont formé toute une montagne avec de nombreuses ramifications qui s’étendent dans la plaine comme autant de coulées de lave. C’est un des spectacles les plus singuliers qu’on puisse voir ; je le place bien au-dessus de celui que j’avais admiré dans les grottes d’Adelsberg en Illyrie. Strabon décrit les cascades d’Hierapolis telles qu’elles se présentent de nos jours ; seulement on ne trouve plus de traces de l’antre (Plutonium), qui dégageait de l’acide carbonique comme la grotte du Chien près de Pouzzoles : les concrétions l’auront sans doute comblé.

Les ruines d’Hierapolis sont très étendues ; elles se composent principalement, 1o des thermes : plusieurs voûtes sont intactes, et tout le plan en est beaucoup plus reconnaissable que celui d’aucun des thermes de Rome ; 2o d’un théâtre conservé avec son proscenium aussi bien, ou peu, s’en faut, que l’Odéon de Pompeï ; 3o d’une église chrétienne réduite à quelques arcades ; 4o de plus de deux cents tombeaux avec des inscriptions, placés à la sortie de la ville,