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LETTRES D’ORIENT.

m’attends au contraire à retrouver la sévère Pallas dans les ruines d’Athènes.

Les murs de Geyra, selon une inscription placée sur une des portes, ont été relevés sous Constantin ; on y voit enchâssées en quantité considérable des pierres sculptées, des débris de colonnes, ce qui prouve qu’avant cette époque la ville était déjà en décadence.

Nos archéologues ne se sont pas contentés de dessiner les monumens : M. de La Bourdonnaye a trouvé quelques instans pour faire le portrait d’un des hommes de l’aga, dont la physionomie et le costume nous avaient frappés. Il n’a fallu rien moins que l’ordre de l’aga pour déterminer cet homme à poser : il était inquiet de ce qu’on ferait de son portrait, et craignait quelque maléfice.

J’avais proposé une ascension au mont Cadmus (Baba-Dagh), qui domine Geyra. Cette idée de botaniste alléché par la vue des neiges avait plu à nos jeunes gens, et nous exécutâmes le projet dans la journée du lendemain. J’en ai été, pour ma part, bien récompensé par la récolte des plantes. J’ai retrouvé sur ces hauteurs une végétation analogue à celle de nos montagnes d’Europe ; boîtes, cartons, tout était plein. M. de La Guiche, de son côté, mesurait la montagne à l’aide du baromètre, et ne lui trouvait qu’une hauteur de 1,900 mètres environ. La position de cette montagne sur les cartes doit être rectifiée. Du sommet on jouit d’une vue très étendue : de tous les côtés où s’élève la chaîne du Taurus, mais surtout au sud-est, on aperçoit des sommets neigeux ; au nord, on découvre, au-delà du Lycus, affluent du Méandre, les blanches cascades d’Hierapolis, dont je te parlerai tout à l’heure. Si c’est toujours un vif plaisir que de gravir les hautes montagnes, à plus forte raison doit-on l’éprouver dans un pays où les vallées, au mois où nous sommes, sont accablées sous le poids de 36 à 40 degrés centigrades de chaleur. Nous avons eu le surlendemain 40 degrés dans le défilé par où s’échappe le Lycus ; à la vérité la roche voisine était crayeuse et reflétait avec une violence inaccoutumée les rayons du soleil.

Le village de Geyra est un des plus misérables qu’on puisse imaginer ; la moitié des maisons tombe en ruine, l’autre n’a pas dix ans à durer. La pénurie de toutes choses en chassera les habitans ; les impôts excessifs, le mauvais régime administratif, la paresse innée de la population, s’en vont ainsi faisant de toute l’Asie mineure un désert.

L’aga nous avait invités à dîner pour le dernier jour que nous devions passer à Geyra ; mais c’était une politesse intéressée : il comp-