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crues du régiment d’Ala-Cheher, espèce de milice provinciale fournie par la contrée de ce nom. Les officiers supérieurs de ce corps nous ont reçus avec obligeance et distinction ; ils nous ont fait parcourir une à une les chambrées, visiter les armes. La musique du régiment a joué pour nous, on nous a même proposé de faire manœuvrer la troupe sous nos yeux ; mais nous avons décliné cet honneur, promettant de revenir à l’heure ordinaire des exercices. Notre inspection s’est terminée par une visite au kiaya-bey, ou lieutenant-général ; il nous a reçus à merveille : après nous avoir fait asseoir sur son divan, il nous a, comme de raison, offert à fumer. Après les saluts d’usage, la conversation s’est engagée par l’intermédiaire de notre interprète juif, tout fier de jouer ce rôle, qui donne dans le pays une certaine considération ; il avait eu soin, du reste, dès le commencement du voyage, de quitter son vêtement israélite, et de prendre l’habit franc. Le général nous a questionnés sur notre voyage, et il a paru émerveillé de ce que nous n’avions mis que onze jours pour franchir la distance entre Marseille et Smyrne. Nous nous sommes alors étendus sur l’éloge de la vapeur, sur la facilité des communications, et nous avons invité notre hôte à venir à Paris. Il nous a demandé si l’air y était bon, si l’eau y était de bonne qualité ; nous avons répondu affirmativement aux deux questions, quoiqu’il y ait bien quelque chose à reprocher à l’eau de Paris et à l’influence qu’elle exerce sur les nouveaux-venus. Il m’a fallu ensuite, en ma qualité d’herboriste, donner une espèce de consultation sur l’usage d’un sirop que le général avait acheté à Smyrne ; j’ai répondu de mon mieux, et de manière à ne pas me compromettre ; j’ai recommandé les petites doses. Le secrétaire du pachalik, présent à la visite, et qui paraît un homme capable, avait lu dans le Moniteur ottoman la nouvelle des derniers évènemens de Paris, et il nous a demandé à ce sujet des explications ; nous avons, bien entendu, présenté cet évènement comme un de ces désordres momentanés qui s’engendrent dans toutes les grandes villes : « Cependant, ajouta l’interlocuteur, le nombre des morts et des blessés a été assez grand. De pareilles scènes se renouvellent fréquemment à Paris ; c’est fâcheux ! mais votre roi s’est bien conduit. » Insensiblement, nous avons fumé trois pipes, manière de mesurer le temps qui répond environ à trois quarts d’heure. Je n’avais pas encore vu d’aussi longues pipes, ni d’aussi beaux bouts d’ambre ; il y en avait une en bois de jasmin très agréable à fumer. À chaque rechargement, les serviteurs du général, rangés