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LETTRES D’ORIENT.

après, nous traversions les ruines dÉphèse de plus en plus envahies par les marécages. Nous poussâmes jusqu’à Aya-Soulouk pour nous loger. Nous aurions pu, avec nos firmans, nous caser dans la plus belle maison, mais elle n’aurait pourtant guère mieux valu qu’une écurie ; c’est pourquoi nous nous décidâmes à poser notre camp dans une mosquée abandonnée, d’ancienne et riche structure, encore pourvue de deux de ses dômes, du reste aussi délabrée que possible. Ses murs à moitié détruits et son minaret qui menace ruine servent d’asile à une quantité innombrable de corneilles, de sansonnets, et aux inévitables cigognes : toute cette population aérienne nous étourdit sans cesse de ses accens. Du reste, rien de plus oriental qu’une pareille station : de toutes parts, des arabesques ; des marbres de diverses couleurs ; une cour et sa fontaine, malheureusement tarie, ombragées de grands térébinthes, et sur la colline qui domine la mosquée, un vieux château byzantin à créneaux. Nous eûmes bientôt choisi chacun notre petit coin pour y dresser nos lits. Le dortoir est vaste ; un tapis étendu dans le quartier de M. Texier est la salle à manger ; un des angles d’une cour latérale forme la cuisine. Quoique nous ayons quatre domestiques et quatre surudjis, force est de se servir le plus souvent soi-même ; car il faut tout aller chercher au loin, et les détails d’un ménage improvisé, les combinaisons qu’il faut employer pour suppléer par l’industrie à tout ce qui nous manque dans ce lieu pour être bien installés, exercent à chaque instant nos facultés inventives. Je ne suis pas le plus mal arrangé ; je me suis fait, avec quelques morceaux de bois plantés dans mon coin de la mosquée et une de mes couvertures, une tente excellente ; ma moustiquaire me sert de rideaux. D’un côté, M. Texier et ses deux amis dessinent et mesurent la mosquée ; de l’autre, M. Saul change nos plantes, et je fais à tout le monde la lecture, tantôt de Strabon, tantôt des épîtres de saint Paul aux Éphésiens et des actes des Apôtres, le tout entremêlé de nombreuses parties de pipe. Nous nous rappellerons long-temps la mosquée d’Aya-Soulouk.

Hier, pendant que M. Texier et ses amis étaient occupés à la mosquée, M. Herbet et moi, nous sommes allés visiter les ruines. La hauteur des plantes ajoute encore à la difficulté de se rendre tant soit peu compte de la topographie de la portion de l’ancienne ville où étaient situés les principaux monumens. Un stade et un théâtre d’une grande dimension sont ceux auxquels il n’est pas possible de se méprendre. Le théâtre était fort vaste. Vingt à trente mille spectateurs pouvaient entendre à l’aise les tragédies de Sophocle et les