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deux mille cinq cents vers de Françounetto passèrent comme un rêve éblouissant, et après le poème, d’autres vers encore, car on ne pouvait se lasser d’écouter. Les jeunes ouvriers toulousains, qui forment, le soir, dans les rues, des chœurs remarquables par la fraîcheur des voix et la justesse du sentiment musical, avaient été invités à cette solennité poétique. Dans les intervalles de la déclamation, les chœurs s’élevaient comme une réponse céleste, et remplissaient d’une nouvelle harmonie la large nef et les longues galeries des vieux cloîtres. Quel est, de notre temps, le poète qui peut espérer d’avoir un pareil jour dans sa vie ? Et ne faut-il pas remonter, pour trouver de semblables scènes, jusqu’à ces temps de la Grèce antique où les poètes et les historiens lisaient leurs œuvres devant le peuple assemblé, ou du moins jusqu’à ces jours célèbres de l’Italie où les chantres divins étaient couronnés dans les fêtes publiques ?

C’est qu’en effet, dans les pays du midi, les arts suprêmes, la poésie et la musique, sont plus éminemment populaires qu’ailleurs. L’intelligence et le goût y sont si naturellement répandus dans les classes les plus inférieures, que la différence qui sépare dans le nord le peuple proprement dit des classes lettrées, n’y existe presque pas. Véritables terres d’égalité, où le pauvre parle familièrement au riche, où tous les hommes se confondent, parce qu’ils ont tous à peu près les mêmes facultés également développées, parce qu’ils jouissent tous de ce qui n’est ailleurs qu’un privilége de la fortune, le loisir. On sait avec quel air d’aisance le Manolo de Madrid aborde dans la rue le grand d’Espagne pour lui demander d’allumer son cigarre au sien, et de quel œil superbe le Transteverin de Rome regarde passer, drapé dans son manteau, le carrosse doré des cardinaux. L’égalité pratique n’est pas poussée tout-à-fait aussi loin dans le midi de la France, mais peu s’en faut. L’homme du peuple y est moins respectueux que dans les provinces septentrionales, parce qu’en effet la différence entre les rangs est moins sensible dans l’esprit et dans les manières. À Toulouse, les ouvriers fréquentent en foule le théâtre, et ils ne sont pas les plus mauvais juges.

C’est là ce qui explique le succès universel de Jasmin ; c’est là aussi ce qui donne le secret de son talent, si élégant et si familier tout ensemble. Il sort du peuple, mais d’un peuple privilégié chez qui la distinction est naturelle, et qui comprend parfaitement tout ce qu’il y a de fin et de classique dans son poète. Ce n’est pas seulement pour avoir étudié quelque peu au séminaire dans sa jeunesse, que Jasmin a un si vif sentiment du beau, c’est encore et surtout parce