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son terroir ? Manquer le bateau à vapeur pour entendre des vers ! Partout ailleurs, on le prendrait pour les fuir.

Nous sommes arrivé au plus important des morceaux qui composent le nouveau recueil, le poème de Françounetto ; avant d’entrer dans l’examen du poème en lui-même, il faut faire l’histoire de sa composition, car il y a toujours une histoire attachée à chacune des œuvres de Jasmin.

Depuis longues années déjà, Jasmin jouissait à Agen d’une popularité sans égale. Sa renommée avait même gagné de proche en proche jusqu’à Bordeaux ; il y était allé, il avait récité ses poésies en public, et il avait obtenu son succès accoutumé. Cependant il n’était pas encore complètement satisfait. Parmi les grandes villes du midi, il en était une, la première peut-être, qui n’avait pas encore adopté sa gloire et qui ne le connaissait presque pas. Toulouse est toujours, quoi qu’en disent ses rivales, la capitale intellectuelle et artistique d’un grand tiers de la France. Son antique université, où sont venus s’instruire de tout temps les enfans du midi, ses jeux floraux dont on rit et que l’on envie, comme on fait de l’Académie française, ont entretenu de siècle en siècle cette notabilité qui ne peut être contestée que pour la forme. D’ailleurs le suffrage de Toulouse devait avoir un prix particulier aux yeux de Jasmin : cette ville est la patrie de Goudouli, le plus célèbre des poètes patois, celui dont le coiffeur d’Agen ambitionne le plus l’héritage. En voilà plus qu’il n’en fallait pour troubler son sommeil.

Mais en même temps on savait, dans le midi, que Toulouse avait un esprit municipal très prononcé (elle en a donné récemment de trop fortes preuves pour qu’il soit nécessaire d’insister beaucoup sur ce point), on savait que les Toulousains étaient sévères en général pour tout ce qui ne venait pas d’eux-mêmes. C’était là un fait irrécusable et très inquiétant pour Jasmin. Enfin, après bien des hésitations, il se décide à venir à Toulouse ; c’était au mois de janvier 1836. Il est parfaitement reçu ; quelques lectures de salons le mettent à la mode ; les littérateurs du pays lui donnent un banquet ; succès, succès complet. Ivre de joie, il remercie les Toulousains dans quelques jolis couplets, et part en promettant de revenir. Il est revenu en effet, mais près de quatre ans après, et apportant avec lui le poème de Françounetto, dédié à la ville de Toulouse. C’est ainsi qu’il travaille à sa gloire ; il y met beaucoup de temps et de patience, mais aussi il la construit solidement, et, en fait de popularité, il ne perd rien pour attendre, comme on va voir.