Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.
297
FRANÇOUNETTO.

J’aime mieux insister sur l’idée elle-même, sur cette tendre comparaison entre une vieille mère qui se meurt et cette bonne vieille langue, qui est une mère aussi ; mais qui ne meurt pas, elle, qui est jeune au contraire, selon le poète, et plus jeune, plus vive, plus folâtre, plus alerte que jamais. Les premiers vers de la strophe sont d’une tristesse, d’un abattement, qui font mal ; les derniers se relèvent tout à coup comme une joyeuse fille qui ferait d’abord la malade, et qui rejetterait brusquement son linceul pour danser au bruit des castagnettes. C’est bien là la muse de Jasmin, tour à tour pleurante et rieuse, et passant comme un éclair des larmes au rire et du rire aux larmes ; véritable enfant du peuple, qui s’attriste et s’amuse à la fois de sa condition humble, mais libre. Tous les vers qui suivent portent l’empreinte de ce double sentiment ; tantôt le poète paraît craindre pour l’avenir du patois, et il appelle alors à son secours tout ce qu’il peut trouver de plus propre à attendrir ; tantôt il se persuade que le danger est illusoire, et il jette des cris de triomphe. Il supplie, il menace, il demande grace, il défie ; rien n’est plus touchant et plus divertissant à la fois.

Pour lui, dit-il franchement, et on ne saurait lui en faire un reproche, car il a bien ses raisons pour cela,

La pichouno patrio ès bien aban la grando.

La petite patrie est bien avant la grande.

Il se demande quelle figure ferait le français, la lengo des moussus, la langue des messieurs, quand il lui faudrait aller aux champs, conduire les bœufs au labourage, charmer par un refrain la peine du pauvre, reposer le travailleur lassé, calmer par la voix de la mère les premières douleurs du nourrisson. Puis, se laissant aller à une illusion poétique : « N’entendez-vous pas là-bas, s’écrie-t-il, cette aimable chanson de noce ?

Nobio, ta may te plouro,
E tu t’en bas !
Plouro, plouro, pastouro ;
— Nou podi pas.


Jeune fiancée, ta mère te pleure,
Et tu t’en vas !
Pleure, pleure, bergère ;
— Je ne peux pas.

N’entendez-vous pas, d’un autre côté, le bouvier dans la prairie,