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FRANÇOUNETTO.

J’aime ses tours naïfs et ses expressions pittoresques, vives images de mœurs qui ne sont plus, comme ces ruines qui dominèrent notre pays et qui décorent encore nos paysages. Mais le mouvement qui efface ces derniers vestiges des vieilles mœurs et des vieux pouvoirs, ne le méconnaissons pas : c’est le mouvement de la civilisation elle-même. Poète populaire, vous chantez l’avenir sur la langue du passé. Cette langue que vous parlez si bien, vous la rajeunissez, vous la créez peut-être ; et cependant ne sentez-vous pas que la langue nationale, cet instrument puissant d’une civilisation nouvelle, l’assiége, l’envahit de toutes parts, comme la dernière forteresse d’une civilisation vieillie ? »

Je ne chercherai pas à dissimuler que ces observations, si parfaitement exprimées d’ailleurs, sont d’une justesse évidente. Quiconque a vu de près ce grand mouvement de transformation qui s’accomplit dans le midi de la France, ne peut douter que le vieux patois gascon, qui a résisté à tant de siècles et de révolutions, ne soit bien près d’être emporté par l’irrésistible progrès de la langue nationale. La diffusion toujours croissante de l’instruction primaire lui porte principalement les derniers coups. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Qui peut le dire ? Toujours est-il que Jasmin n’a pu admettre que ce fût seulement possible. Sans être séduit par les éloges dont l’orateur français avait accompagné ses prophéties de mort, le poète méridional a fait une protestation éloquente en faveur de son langage chéri. Cette réponse à moussu Dumoun est une de ses plus belles pièces. Je vais essayer d’en faire connaître les principaux passages. Voici d’abord le commencement :

Lou pu grand pessomen que truque l’homme, aci,
Acò quand nostro may, bieillo, feblo, desfeyto,
S’arremozo touto et s’allieyto
Coundannado pel medeci.
À soun triste cabès que jamay l’ou nou quitto,
L’èl sur soun èl et la ma dins sa ma,
Pouden bé, per un jour, rebis coula sa bisto,
Mais, hélas ! aney biou, per s’escanti douma,
N’ès pas atal, moussu, d’aquello ensourcillayro,
D’aquelo lengo musicayro,
Nostro segoundo may ; de sabens francimans
La coundanon à mort dezunpey tres cens ans,
Tapla biou saquela ; tapla sous mots brounzinon ;
Chés elo, las sazous passon, sonon, tindinon,