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si bien la pauvreté insouciante du midi, cette pauvreté si peu exigente et si tôt satisfaite ?

Dambé moun pa de segle è l’aygo de ma foun.

Quant au dernier trait : Ey plourat trop lountèn, boli me resquita, il est surtout expressif pour ceux qui connaissent les Souvenirs de Jasmin, l’histoire de son enfance si malheureuse, si dénuée, l’épisode admirable du départ de son grand-père pour l’hôpital, les efforts souvent infructueux de sa jeunesse pour échapper à l’affreuse indigence, l’éveil de son talent, le progrès de sa renommée changeant peu à peu sa situation, le rire succédant aux larmes sous son toit visité par la Muse, la joyeuse indépendance de son âge mûr et la douceur nouvelle qu’ajoute à son bonheur présent la mémoire de ses souffrances passées. Ce sentiment est si vif chez lui, qu’il perce dans presque toutes ses poésies, et c’est ainsi que, dans une de ses plus jolies chansons, adressée à un curé qui voulait lui faire faire maigre un jour d’abstinence, il s’excuse gaiement de ne plus jeûner par ce refrain :

En fèt de jûne, ey tant pagat d’abanço,
Que le boun Diou
Me diou.

En fait de jeûne, j’ai tant payé d’avance,
Que le bon Dieu
Me doit.

Cette première pièce peut déjà donner une idée de la manière de Jasmin. On y trouve tout ce qui caractérise son talent, l’accord d’une douce et fine gaieté avec un fonds de mélancolie toujours près des larmes, un instinct populaire très prononcé sous des formes très élégantes et très polies, et enfin, s’il faut tout dire, une assez bonne dose de hâblerie gasconne. Dieu merci ! notre ami Jasmin n’est pas aussi pauvre qu’il le dit poétiquement. Sa pauvreté est celle qui convient à un fils de la lyre. Sans doute il a toujours sa boutique de coiffeur, mais c’est surtout sur les étrangers qui passent à Agen qu’il exerce son art. Sur le comptoir se trouvent par hasard, au milieu des fers à friser, quelques exemplaires du fameux volume des Papillotes. Après avoir joui de la conversation du poète tout en se laissant accommoder par lui, après lui avoir entendu réciter quelques-unes de ses dernières pièces, l’étranger ne peut guère s’en aller sans acheter ce recueil qui contient de si jolies choses, et voilà tout de suite quel-