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SAINT-ÉVREMOND.

pouvoir rétablir l’agrément d’un pareil commerce. À l’âge où je suis, il m’est impossible de le remplacer. Le vôtre, monsieur, et celui de quelques personnes qui prennent part encore à mes intérêts, me seroient d’un grand secours à Paris : je ne balancerois pas à l’aller chercher, si les incommodités de la dernière vieillesse n’y apportoient un grand obstacle. D’ailleurs, que ferois-je à Paris, que me cacher ou me présenter avec différentes horreurs, souvent malade, toujours caduc, décrépit ? On pourroit dire de moi ce que disoit Mme de Cornuel d’une dame : Je voudrois bien savoir le cimetière où elle va renouveler de carcasse. »

Dès ce moment, Saint-Évremond ne fit plus que languir. La vieillesse, qu’il avait portée jusque-là avec gaillardise, s’alourdit tout à coup sur sa tête. La verve et la gaieté s’en allèrent à petit bruit : une seule chose restait debout, cette inaltérable raison qui n’avait jamais failli chez lui, et qui se maintint haute et droite jusqu’à la fin. Ce fut sur ces entrefaites que Barbin vint frapper à sa porte, son catalogue à la main. Il demandait à son auteur son portrait d’abord, puis ses dernières productions, et la liste de ses œuvres triées au milieu du chaos informe des Saint-Évremontiana. Précisément à cette époque, Saint-Évremond écrivait un jour : « À l’âge où je suis, une heure de vie bien employée vaut mieux que toute la renommée du monde. » Il répondit à Barbin : « Si j’étois jeune et bien fait, je ne serois pas fâché qu’on vît mon portrait à la tête d’un livre ; mais c’est faire un mauvais présent au lecteur que de lui donner la vieille et vilaine image d’un homme de quatre-vingt-six ans. » Et pour le reste il ajouta : « Le peu d’esprit que j’ai eu autrefois est tellement usé, que j’ai peine à en tirer aucun usage pour les choses mêmes qui sont nécessaires à la vie. Il ne s’agit plus pour moi de l’agrément ; mon seul intérêt, c’est de vivre. »

Cet homme qui se plaisait tant à vivre se rattacha tout prosaïquement, sur la fin, aux jouissances de la table, les seules qui rallumassent en lui quelque étincelle. C’est l’idée qui prédomine dans sa correspondance. Pour ne citer qu’un fragment entre les autres : « M. de La Pierre est arrivé, écrivait-il à son médecin Sylvestre, qui m’a donné onze pêches qui valent onze cités, pour parler comme les Espagnols quand ils veulent faire valoir les présens qu’ils reçoivent. Les douleurs que je ressens présentement me rappellent à mon mal. Je voudrois bien que vous m’eussiez guéri avec le régime de Boughton, les perdreaux, les truffes, etc. »

Quelque temps auparavant, il écrivait à Ninon de Lenclos « À