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on raisonnoit sur les ouvrages d’esprit et de galanterie, sur les pièces de théâtre, les auteurs anciens et modernes, l’usage de notre langue, etc.[1]. » Comme Hortense était moins exclusivement littéraire que la fameuse Julie, les plaisirs avaient aussi leurs entrées dans son cercle. Morin, qui avait importé la bassette en Angleterre, taillait d’ordinaire chez elle, et l’on ne s’y contentait pas toujours de « raisonner sur les ouvrages de galanterie. » Bref, tout y allait de façon que son dévot mari, dans un factum qu’il fit imprimer plus tard contre elle, crut pouvoir le prendre sur ce ton curieux : « Mme Mazarin faisoit de sa maison un bureau public de jeu, de plaisir et de galanterie ; une nouvelle Babylone, où des gens de toutes nations, de toutes sectes, parlant toutes sortes de langues, marchoient en confusion sous l’étendart de la fortune et de la volupté. » Telle était, en corrigeant toutefois la pieuse exagération de cette phrase biblique, telle était la femme au char de laquelle notre philosophe demeura enchaîné pendant vingt-quatre ans.

Admis d’abord avec la foule aux séances académiques, dont le poids reposait en grande partie sur lui, Saint-Évremond conquit bientôt l’intimité, puis finit par se déclarer amoureux, mais amoureux de si bonne grace et si peu exigeant, que le ridicule ne l’atteignit jamais. Rien n’est touchant et paternel comme les petites lettres où lui-même plaisante avec sa passion. Il se laisse aller, avec cette calme négligence des esprits qui ont la conscience de leur force, aux caprices, aux railleries, aux agaceries d’enfant de la folle vagabonde, selon l’expression d’un mauvais plaisant, dans un sonnet satirique du temps. « Pour les attentats que vous me conseillez, écrivait-il au comte d’Olonne, je suis peu en état de les faire, et elle est en état de les souffrir. S’il faut veiller les nuits entières, on ne me donne pas quarante ans. S’il faut faire un long voyage avec le vent et la pluie, quelle santé que celle de M. Saint-Évremond ! Veux-je approcher ma tête de la sienne, sentir des cheveux et baiser le bout de l’oreille, on me demande si j’ai connu Mme Gabrielle, et si j’ai fait ma cour à Marie de Médicis. Le papier me manque. Je vous prie de me mettre au rang des amis solides. Miracle-d’Amour est votre servante. » Et au comte de Saint-Albans : « Mme Mazarin a les mains bonnes pour voler mes fiches, et pour jeter une carte du talon, quand je joue sans prendre avec quatre matadors. Je m’adresse à

  1. Desmaizeaux, p. 139.