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tranquille. La sagesse règne en paix sur nos mouvemens, et n’a qu’à bien gouverner des sujets, au lieu que la vertu avoit à combattre des ennemis.

« Je puis dire de moi une chose assez extraordinaire et assez vraie, c’est que je n’ai jamais senti en moi-même ce combat intérieur de la passion et de la raison. La passion ne s’opposoit point à ce que j’avois résolu de faire par devoir, et la raison consentoit volontiers à ce que j’avois envie de faire par un sentiment de plaisir. Je ne prétends pas que cet accommodement si aisé me doive attirer de la louange : je confesse au contraire, que j’en ai été plus vicieux ; ce qui ne venoit point d’une perversité d’intention qui allât au mal, mais de ce que le vice se faisoit agréer comme une douceur, au lieu de se laisser connoître comme un crime. »

Hâtons-nous de dire, pour notre responsabilité morale vis-à-vis de ceux qui n’entendent point facilement raillerie à l’endroit de cette pauvre vertu, si lestement sacrifiée par notre philosophe, hâtons-nous de dire que nous ne présentons point ceci comme un enseignement. Lui-même, au surplus, ne cherche point à ériger en théorie la méthode qu’il s’applique, et cette complaisance mutuelle de la passion et de la raison, si commode pour arranger sa vie, il sait bien nous la donner pour ce qu’elle vaut. C’est moins une prédication qu’une confession qu’il fait là, confession sans remords, il est vrai, et qui n’invoque point d’absolution. C’est le récit d’un homme qui s’est fait sa route par les sentiers les plus faciles, et qui s’accuse en riant de paresse.

Il est curieux après cela de voir quelle sorte de chrétien faisait Saint-Évremond. À coup sûr, celui-là ne devait pas l’être à la façon de Bossuet ou de Pascal. Sans parler de la pratique dont il fait évidemment bon marché, il n’accepte guère que ce qui lui plaît de la croyance. Nous avons déjà vu sur quel ton d’ironique incrédulité il le prend avec les grandes questions religieuses qui mettaient aux prises les docteurs de son temps, et quel mince respect il garde aux docteurs eux-mêmes. Dans sa comédie des Opéras, œuvre assez faible du reste, composée dans le but d’amuser Mme de Mazarin, Saint-Évremond amène l’histoire du médecin Guillaut, qui fait appeler monsieur le théologal, son bon ami, « pour prendre congé de ce monde entre ses mains, et se préparer à l’autre. » Son ame est en assez bonne assiette, n’était une chose, dit-il, qui l’inquiète : « C’est d’avoir abusé le peuple trente ans durant, dans la profession et l’exercice d’une science où je ne croyois point. » — « Scrupule d’un