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homme, n’est pas une des choses les moins curieuses qu’il renferme. « Vous m’honorez de votre estime, écrivait Corneille, avec la fierté douloureuse du lion moribond ; vous m’honorez de votre estime, en un temps où il semble qu’il y ait un parti fait pour ne m’en laisser aucune. Vous me soutenez, quand on se persuade qu’on m’a abattu, et vous me consolez glorieusement de la délicatesse de notre siècle, quand vous daignez m’attribuer le bon goût de l’antiquité. C’est un merveilleux avantage pour un homme qui ne peut douter que la postérité ne veuille bien s’en rapporter à vous : aussi je vous avoue après cela que je pense avoir quelque droit de traiter de ridicules ces vains trophées qu’on établit sur les débris imaginaires des miens, et de regarder avec pitié ces opiniâtres entêtemens qu’on avoit pour les anciens héros refondus à notre mode. »

Et plus loin :


« Que vous flattez agréablement mes sentimens, quand vous confirmez ce que j’ai avancé touchant la part que l’amour doit avoir dans les belles tragédies, et la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces vieux illustres ces caractères de leur temps, de leur nation et de leur humeur ! J’ai cru jusqu’ici que l’amour étoit une passion trop chargée de foiblesse pour être la dominante dans une pièce héroïque ; j’aime qu’elle y serve d’ornement, et non pas de corps, et que les grandes ames ne la laissent agir qu’autant qu’elle est compatible avec de plus nobles impressions. Nos doucereux et nos enjoués sont de contraire avis, mais vous vous déclarez du mien. N’est-ce pas assez pour vous en être redevable au dernier point, et me dire toute ma vie,

« Monsieur,
« Votre très humble et très obéissant serviteur,
« Corneille. »


Il deviendrait trop long de suivre pas à pas Saint-Évremond dans sa longue vie littéraire. Il avait cinquante-sept ans quand il vint pour la seconde fois en Angleterre. Pendant trente-trois ans qu’il vécut encore, il resta le libre penseur, l’écrivain de fantaisie que nous avons montré. Le théâtre et les anciens étaient les sujets ordinaires sur lesquels s’exerçait sa verve complaisante, toujours au service d’une prière, d’une invitation, souvent d’un caprice. La vieil-