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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

et plaida lui-même sa cause, aidé par un interprète. On trouva qu’il avait raison, et, après l’avoir écouté patiemment, on lui donna une lettre expresse pour ses chefs, auxquels on le recommanda spécialement. Le conseil de Calcutta, blessé de cette intervention de la cour des directeurs, refusa d’exécuter leurs ordres, et le soubhadhar, se rembarquant aussitôt, alla communiquer aux directeurs ce nouveau déni de justice. Irrités, ils ordonnèrent à leurs délégués de Calcutta de prendre en main vigoureusement la cause du pauvre soubhadhar, et ce dernier retourna dans son pays. Le gouvernement local, qui d’une part sentait la nécessité de pactiser, et qui de l’autre ne voulait pas avoir l’air de céder aux directeurs, offrit au soubhadhar, comme moyen d’arrangement, une pension annuelle. La délicatesse de l’officier hindou rejeta cet accommodement, qui ne lui semblait pas laver d’une manière assez complète la tache faite à son honneur. Il donna sa démission, et passa au service du roi d’Aoûde. Pendant ses deux voyages en Angleterre, il avait fait à pied le trajet de Londres à Durham, et de Londres à l’extrémité du duché de Cornouailles, pour rendre visite, à Durham, à un vieil officier anglais, son ancien ami, et, dans le Cornouailles, aux enfans d’un de ses camarades. Ce pauvre Hindou avait fort peu d’argent, ne savait pas l’anglais, et ne connaissait personne en Angleterre, si ce n’est le capitaine dont j’ai parlé. Le roi d’Aoûde, qu’il sert aujourd’hui, dit miss Roberts, le traite avec une grande distinction.

Ardens comme des poètes et sensibles comme des enfans à la justice et à l’injustice, les Hindous poursuivraient jusqu’aux entrailles de la terre le redressement d’une iniquité. Le rang, le crédit, la fortune de leurs oppresseurs, ne les effraient jamais. On a vu des domestiques maltraités par des maîtres qui habitaient des jungles situés à une distance énorme de Calcutta se rendre à pied dans cette ville pour obtenir justice. Trois cents lieues ne les épouvantent pas, et aucune difficulté ne leur fait obstacle. Succombent-ils dans leurs efforts, ils en appellent à Dieu, maudissent celui qui leur a fait tort ou injure, et se laissent mourir de faim, persuadés que leur anathème suffit pour attirer la vengeance de la destinée sur la tête de l’offenseur. Ce suicide singulier, suicide de malédiction et de vengeance, sur lequel le grand poète Robert Southey a fondé la fable de son plus remarquable poème, s’opère selon des règles fixes, dans une certaine attitude et accompagné de certaines prières. C’est ce qu’on appelle faire le dhournâ. Un Hindou contre lequel on fait le dhournâ, et qui le sait,