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CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Où Briséis posait l’agrafe de son voile,
Et si de Pénélope il avait vu la toile.

Dans le détail de la comparaison, toutefois, je regrette de trouver un peu de manière moderne, un peu de mignardise, et ce mot frôler, par exemple, que j’aimerais mieux dans quelque ballade à un sylphe lutin que dans cette largeur de ton homérique.

Mlle Bertin a moins bien réussi, ce me semble, pour le chant même qu’elle prête à Homère : c’est, en strophes régulières, un résumé peu entraînant des évènemens de l’Iliade :

La plaine attristée et déserte
De tentes est bientôt couverte,
Et l’une d’elles, entrouverte,
Doit laisser partir Briséis.

Que ce dernier vers est lent, sans un e muet final, sans une voyelle commençante ! Comment une oreille aussi musicale l’a-t-elle pu laisser tomber ? En général, la légèreté de touche fait défaut en plus d’un endroit. La grace, encore une fois, ne manque pas ; mais, au besoin, c’est plus volontiers la force qui devient sensible.

J’en suis aux critiques ; car moi aussi j’en veux faire, et par là, non moins que par mes éloges, prouver mon sérieux respect pour le talent de Mlle Bertin. Je n’essaierai pas, comme un juge très spirituel et infiniment agréable jusqu’en ses chicanes, de faire dans ces vers double part, celle de la manière nouvelle et celle de l’ancienne : la nouvelle ainsi porte le mauvais lot. Tous les vers de ce volume me semblent tenir de cette manière nouvelle ; seulement les uns ont mieux réussi. Avec les avantages et les richesses de l’école moderne, les défauts s’y marquent. Il y a des mots qui détonnent ; des aspérités sortent de la trame ; toutes les couleurs ne s’y fondent pas. Par exemple :

Après, viennent les pleurs, l’ennui, puis la vieillesse
Aux désirs muselés par la pâle faiblesse.

Ce mot muselés implique un effort. C’est une main pesante qui musèle, ce n’est pas une main faible, c’est encore moins une faiblesse pâle. Et puis cette expression muselé est bien forte, bien matérielle ; autrefois on eût dit enchaîné. Des désirs muselés appartiennent un peu trop à cette langue qui force les choses et les noms, qui dit un cœur fêlé au lieu d’un cœur brisé. Je ne comprends pas que la pensée y gagne. On entrevoit le sens de mes critiques.

Il est souvent un grand charme, et inexprimable, résultant d’une image discrète, d’un tour simple, d’un enchaînement facile, d’une