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troublée ; elle l’est toujours dans la vie, dans la grande histoire comme dans la petite. L’orage politique vint à la traverse. Le ministère Polignac ajourna la littérature nouvelle, et, renvoyant les rêveurs à leur rêve, ramena les politiques à leur œuvre. Chacun des conviés, ou de ceux qui allaient l’être, alla où il put. Mais les relations particulières se suivirent. M. Victor Hugo les a, depuis long-temps, consacrées par l’opéra de la Esméralda, surtout par les quatre beaux chants qui, dans ses quatre derniers recueils de poésies, à partir des Feuilles d’Automne, se sont venus rattacher au nom et à la pensée de Mlle Bertin.

Ce volume en fait la réponse naturelle, très en harmonie avec les accords qui l’ont provoquée ; il est, après dix ans, l’expression en poésie de ces saisons déjà anciennes, décorées et embellies encore par le souvenir.

Oui, quoique beaucoup de ces pièces nous arrivent datées depuis 1840, on en peut dire, comme de certaines poésies lentes à s’écrire, qu’elles sont d’une rédaction postérieure au sentiment primitif d’où elles sont nées. Le titre modeste les a réunies sous le nom de Glanes (j’aimerais mieux Glanures) : c’est dire que la moisson est faite ; mais beaucoup de ces épis, tant ils sont mûrs, auraient pu être des premiers moissonnés.

Quoique, certes, la fraîcheur et la grace n’y manquent pas, ce volume a peu les caractères d’un début. La forme atteste une main habile et presque virile d’artiste ; le fond exprime une ame de femme délicate et ardente, mais qui a beaucoup pensé, et qui ne prend guère l’harmonie des vers comme un jeu. Ainsi dans la pièce au jeune Charles Hugo, pour lui conseiller de rester enfant bien long-temps et de ne pas s’émanciper aux chants trop précoces, l’auteur, livrant son propre secret, nous dit :

Oh ! pour chanter, crois-moi, Charles, il n’est pas l’heure ;
Le temps n’a pas appris à ton front qu’il effleure
Ce que son aile apporte et de nuits et d’hivers.
Enfant, c’est la douleur qui chante dans les vers !
Il faut souffrir long-temps pour savoir bien redire
L’hymne mystérieux que notre ame soupire !
Il faut qu’un long travail éclaire notre esprit
Pour deviner l’orage en un ciel qui sourit !

Une pensée religieuse élevée, sincère, parfois combattue et finalement triomphante, a inspiré un bon nombre de pièces, qui ne sont pas un indigne pendant, ni une contrepartie dérogeante de ces graves