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CRITIQUE LITTÉRAIRE.

la jolie vallée de Bièvre, tout un coin, un foyer d’action, qui mériterait sa place dans la chronique poétique des dernières années. Les Roches, telles que je les ai vues, ce n’était pas la campagne du Journal des Débats ni d’aucun journal : on n’y parlait point de ces choses. C’était le loisir, les vacances, la liberté pour tous, la gaieté pour les uns, le rêve et l’étude calme pour les autres. Vers 1828, l’école nouvelle perçait avec vivacité, avec ensemble ; la politique sous M. de Martignac faisait trêve. On pensa à introduire une part du jeune romantisme aux Débats. La quarantaine qu’on fait ainsi subir aux talens nouveaux, avant de les accepter et de les louer, cause des impatiences, comme toutes les quarantaines ; elle a son utilité aussi. Les Débats l’ont appliquée en général avec prudence ; on songeait, dès 1828, à la lever pour quelques-uns. Les Roches, terrain neutre, asile hospitalier, prêtèrent leurs beaux ombrages, leurs allées tournantes, leur gaie rivière et leur île des Conférences, à ces essais, bientôt désintéressés et plutôt affectueux, qu’on fit des esprits et des personnes. Comme il arrive aisément dans les lieux qui plaisent, on eut le chemin plutôt que le but ; et, au lieu de la critique qu’on cherchait d’abord, la poésie naquit.

Elle était née déjà dans plus d’un cœur, dans plus d’un talent qui la cultivait de ce côté en silence. Je me rappelle encore la position bien dessinée du groupe dès ces premiers jours : Mlle Bertin, l’ame du lieu, préludant à ses hymnes élevées, son frère Édouard qui est devenu le paysagiste sévère, Antony Deschamps, alors en train de passer du dilettantisme de Mozart au commerce du Dante, et qui y portait toutes les nobles ferveurs. Cela formait le côté romantique des Roches, si j’ose l’appeler ainsi ; mais en face, mais à travers, les classiques, et des plus jeunes, des plus alertes, ne manquaient pas. M. Alfred de Wailly, M. Saint-Marc Girardin, tempéraient souvent l’éloge par un demi-sourire. Une femme d’un talent délicat, Mlle de Bawr, ramenait quelquefois, comme conseil bienveillant, les mots de goût et de grace. Dois-je nommer encore M. Nisard, qui, bien jeune alors, appartenait peut-être plutôt au premier groupe, ou qui du moins, détaché du second comme en éclaireur, promenait de l’un à l’autre ses doutes consciencieux ? Au milieu de tous, M. Bertin père, sage et arbitre, intelligent et affectueux, gardait le ton du vieux et vrai bon sens, sans pourtant dire non aux nouveautés, sans s’étonner des accens qui montent.

Le projet de conciliation et d’infusion graduelle ne se réalisa pas tout-à-fait comme on l’avait conçu. La cristallisation régulière fut