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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

naître pleinement, lui est très défavorable : peu d’écrivains perdent autant que lui à une analyse minutieuse. Il y a des livres qu’il faut lire d’une haleine et juger dans leur ensemble, de même qu’il faut voir certains tableaux à distance. Pourquoi ne prendrait-on pas le point de vue de l’écrivain comme du peintre ? On trouve, dans toutes les galeries et même aux premiers rangs, des maîtres dont les toiles, vues de trop près, sont choquantes comme un démenti donné aux règles du bon goût : on n’y distinguerait pas un trait arrêté, pas un détail irréprochable ; la couleur semble jetée grossièrement, comme dans les hasards d’une première ébauche : cependant, dès qu’on s’est placé à une distance convenable, les tons criards se trouvent fondus dans une séduisante harmonie ; on oublie la sèche analyse pour se prêter à cette fascination qui fait le charme des arts, et que ne causent pas toujours des œuvres méthodiques dont toutes les parties soutiendraient l’examen. Les maîtres dont nous parlons sont ceux que l’école appelle des coloristes. M. Michelet est un artiste de cette famille ; il est coloriste en son genre, et de premier ordre. Ainsi doit être expliquée la diversité des jugemens dont il a été l’objet. Décomposer son œuvre pour la soumettre partiellement à la discussion, c’est en faire évanouir tout le prestige. Les lecteurs superficiels qui se livrent à un auteur sans lui demander compte de ses principes et de ses moyens, se trouvent transportés, par M. Michelet, dans un monde où tout est spectacle et sensation, où ils ne connaissent pas le doute, et, dans leur éblouissement, ils conçoivent pour l’enchanteur une admiration emphatique. M. Michelet, qui n’est pas homme à se satisfaire d’un succès contestable, a compris heureusement que la précision et le coloris, la logique et le sentiment, peuvent être conciliés. Déjà, il a pris de lui-même une prudente direction ; il est dans la vigueur de l’âge et du talent ; puisse-t-il parvenir enfin à mettre d’accord tous ses juges !


A. Cochut.