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qui domine chez M. Michelet, le porte à pénétrer l’esprit de chaque époque, à refléter les phénomènes moraux. Voué à une sorte de psychologie historique, il analyse l’idée cachée, selon lui, sous chaque évènement, avec la recherche curieuse qu’apporte l’école pittoresque à décrire la ciselure d’une tourelle ou les blasons d’un tournoi. A-t-il un procédé qui lui soit propre pour dégager la pensée de l’acte matériel ? C’est ce que nous n’avons pas pu découvrir. Spiritualiste en théorie, il semble devenir matérialiste dans l’exécution. C’est ordinairement par l’action des causes locales et extérieures qu’il trouve moyen d’expliquer toutes choses. Il est évident que, dans la France ancienne, les affinités de races, d’intérêts et de coutumes, les influences topographiques, la difficulté des communications, ont formé des groupes reconnaissables encore à des caractères mal effacés. Mais M. Michelet ne se contentera pas de dessiner ces types provinciaux ; il gaspillera beaucoup d’esprit et d’érudition pour démontrer que la Bretagne doit nécessairement produire des hommes d’opposition intrépide, opiniâtre, aveugle ; le Lyonnais, des hommes mystiques ; la Picardie, des hommes rusés et goguenards : autant de terres, autant de fruits. L’auteur découvre toujours quelque relation mystérieuse entre les sites, les provenances naturelles, les monumens, les costumes et les usages. Par exemple, « il y a entre le Languedoc et la Guyenne la même différence qu’entre les montagnards et les girondins, entre Fabre et Barnave[1], entre le vin fumeux de Lunel et le vin de Bordeaux. » Les noms même ne sont pas sans influence : « Ce drôle de cardinal Dubois était de Brives-la-Gaillarde. »

Si cette idée fixe est tolérable dans une agaçante causerie, comme le voyage pittoresque dans l’ancienne France qui ouvre le second volume ; elle a des inconvéniens graves dans les appréciations philosophiques. L’auteur qui sait exposer habilement les doctrines et les suivre dans leurs conséquences, a le tort de légitimer les tendances des théologiens et des philosophes par les instincts intellectuels qu’il attribue à leur race. Le défenseur du moi humain, Pélage, procède en vertu de l’individualisme helléno-celtique. Le rationalisme destructeur des Vaudois a dû prendre naissance parmi les montagnards des Alpes, « gens raisonneurs et froids sous le vent des glaciers. » Le mysticisme, qui annule l’individu, est une contagion d’origine germanique, et toujours ainsi. M. Michelet ne remarque

  1. Barnave était Dauphinois.