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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

dans le devoir les petits vassaux qui désolent les terres royales, et ensuite les grands feudataires plus puissans que lui-même, le duc de Bourgogne, le comte de Flandres appuyé sur l’Allemagne, le roi d’Angleterre, ce superbe Henri II, qui possédait un tiers de la France ; le roi français dont nous parlons pose la première base d’une administration, arme les communes pour résister à une coalition de la moitié de l’Europe, élève le tiers-état en l’associant au noble orgueil d’une grande victoire, ajoute au domaine qu’il a reçu de son père, c’est-à-dire à la vraie France, le duché de Normandie, les comtés d’Alençon, d’Auvergne, d’Artois, d’Évreux, de Touraine, du Maine, d’Anjou, de Poitou, de Vermandois et de Valois. Émus de ces grands résultats, nos historiens avaient jusqu’ici donné à Philippe-Auguste une contenance fière et sympathique. Malheureusement, M. Michelet venait de dessiner un peu plus haut les types du roi de France et du roi d’Angleterre, tels qu’ils apparaissent, assure-t-il, dans l’ensemble du moyen-âge. « Le premier conserve généralement une certaine majesté immobile. Il est calme et insignifiant en comparaison de son rival… Enfoncé dans son hermine, il régente le roi d’Angleterre, comme son vassal et son fils, mauvais fils qui bat son père. Le descendant de Guillaume-le-Conquérant, quel qu’il soit, c’est un homme rouge, cheveux blonds et plats, gros ventre, brave et avide, sensuel et féroce, glouton et ricaneur, entouré de mauvaises gens, volant et violant, fort mal avec l’église. » Tant pis pour Philippe-Auguste, mais il fallait qu’il rentrât dans le moule du roi de France, dût-il en être un peu meurtri. « C’était, dit M. Michelet, un prince cauteleux, plus pacifique que guerrier, quelles qu’aient été sous lui les acquisitions de la monarchie. La Philippéide de Guillaume le Breton, imitation classique de l’Énéïde, nous a trompés sur le véritable caractère, de Philippe II. Les romans ont achevé de le transfigurer en héros de chevalerie. Dans le fait, les grands succès de son règne, et la victoire de Bouvines elle-même, furent les fruits de sa politique et de la protection de l’église. » M. Michelet sait très bien que la Philippéide n’est pas le seul document relatif à Philippe-Auguste, et qu’il n’y a pas de raisons pour mettre en doute la sincérité du continuateur de Rigord, lorsqu’après avoir été poète emphatique, il redevient chroniqueur minutieux. Il se peut, au surplus, que la bataille de Bouvines n’ait pas eu une grande importance stratégique ; elle n’en mérite pas moins d’occuper une place glorieuse dans notre histoire. Ses résultats furent immenses. Une coalition perfide voulait morceler ce petit royaume, qui était le cœur de la France : l’instinct populaire s’in-