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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

misère publique en reproduisant les déclamations boursoufflées de Lactance et de Salvien. M. Michelet, qui s’en tient trop souvent aux vagues indications, parce qu’il craint la sécheresse des traits arrêtés, aurait dû, en cette circonstance, forcer ses instincts en pénétrant bravement dans le texte des lois romaines et dans le fatras des glossateurs. Il y avait nécessité d’exposer l’état légal des personnes, et la double hiérarchie des conditions dans les campagnes et dans les villes, la distribution du sol en cantons libres, en biens du domaine public, fonds militaires, banlieues des villes ; il fallait en un mot éclairer l’étonnante diversité d’intérêts, qui réduisait à l’impuissance une population très vivace encore. C’était un rude défrichement à faire, mais la moisson eût été féconde ; car, nous n’hésitons pas à le dire, l’époque gallo-romaine, si ordinairement négligée par nos historiens, et qu’on connaîtrait à peine sans quelques aperçus de l’abbé Dubos, et sans les belles leçons dans lesquelles M. Guizot a retracé tout ce que son cadre admettait ; cette époque est, sinon la plus intéressante de notre histoire, au moins la plus utile à étudier. Depuis Constantin jusqu’à l’invasion germanique, le vieux génie romain, vivifié par la parole chrétienne, s’appliqua sérieusement à la réforme de l’empire. À défaut de l’esprit public qu’il n’était plus possible de ranimer, on entretint le mouvement du corps épuisé en multipliant les ressorts artificiels. On combina une organisation très compliquée, dont il subsista toujours quelque chose, malgré les remaniemens successifs et partiels. Il importe donc de connaître parfaitement le point de départ, l’état social de la Gaule au IVe siècle, pour s’expliquer les révolutions postérieures : pour qui n’a pas ces notions, tout devient problématique et ténébreux.

Il ne fallait pas attendre de M. Michelet de nouvelles lumières sur la crise qui ruina le gouvernement impérial au profit des bandes germaniques. On serait tenté de croire qu’il a fait disparaître à dessein, dans le demi-jour d’une narration nuageuse, les aspérités de la controverse relative aux origines françaises. Les élémens divers qui fermentent dans la Gaule pendant le Ve siècle, et dont la lente et pénible assimilation doit constituer le peuple français ; citoyens de la province romaine, Wisigoths de l’Aquitaine, Burgundes vers le Rhône et la Saône, sujets romains d’Ægidius et de Syagrius, confédération armoricaine des Gaulois révoltés, Bretons répandus vers le littoral de l’Océan, villes municipales livrées à elles-mêmes, Franks de la Ripuairie, Franks Saliens, tous ces groupes hostiles sont mentionnés en moins de vingt pages : l’auteur ne fait aucun effort pour les caracté-