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liorant ; de l’autre, ceux qui s’en tiennent à nier et à détruire ; les premiers, ouvriers clairvoyans ; les seconds, instrumens brutaux. Ceux-ci, les Luther, les Mirabeau, par exemple, doivent sans doute beaucoup à leur siècle, car le don fatal qui fait leur force est de s’imprégner de la passion qui déborde, d’exhaler en paroles fulminantes toutes les colères qui grondent autour d’eux ; mais celui qui s’est donné la mission de relever une société sur son déclin, ou un art dégradé, gagnera-t-il beaucoup à écouter les bégaiemens de la foule ? Ne doit-il pas plutôt s’élever au-dessus du vulgaire, qui ne peut engendrer que la vulgarité ? Ne doit-il pas se réfugier dans sa propre conscience, et en dégager, par un long travail fait sur lui-même, quelques-unes de ces inspirations lumineuses qui sommeillent, comme une flamme latente, dans les profondeurs de l’ame humaine ? Nous croyons donc que, parmi ces hommes exceptionnels qu’on a tort de confondre sous la qualification de grands, les uns, les destructeurs, peuvent bien représenter, en effet, la pensée et l’œuvre de leur époque ; les autres, les initiateurs, sont avant tout redevables à eux-mêmes ; et, pour que l’épreuve tentée par l’historien fût concluante, c’était sur des êtres de cette dernière catégorie, sur un homme vraiment grand, qu’il aurait dû expérimenter.

Nous allons voir enfin M. Michelet aborder l’histoire de France. Recherchons, d’après les études dont nous avons suivi le cours, s’il est dans une disposition convenable pour une telle entreprise.

Écrire l’histoire générale d’une grande nation, c’est promettre beaucoup. L’historien de la France, par exemple, doit être en état d’apprécier les influences morales qui ont régi aux divers âges la société française. Il doit préalablement épuiser les sources primitives, s’approprier, en les vérifiant, les travaux de l’érudition isolée, et, maître de tous les résultats antérieurement acquis, les distribuer dans une harmonieuse composition : c’est dire qu’il devrait réunir la philosophie, l’art et la science. M. Michelet avait laborieusement cherché une philosophie ; il était devenu artiste éminent ; il avait peu fait pour la science positive. C’est le sort de presque tous ceux qui entreprennent des histoires générales : l’impossibilité de rassembler à la fois tous les matériaux d’une construction immense les empêche de combiner un plan ; ils divisent au contraire leur tâche, pour n’en pas voir l’ensemble, qui les effraierait ; ils avancent au hasard, époque par époque, volume par volume, déblayant au jour le jour le terrain sur lequel ils doivent bâtir, exhumant les matériaux selon le besoin qu’ils en ont, façonnant avec amour le détail qui leur complaît, né-