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Pour eux, les actus legitimi n’étaient qu’une complication de cérémonies mystérieuses imaginées par les patriciens pour se rendre indispensables à leurs cliens plébéiens et conserver le monopole de la justice. Les historiens, d’accord avec les jurisconsultes, le disent formellement : obligés de donner au peuple des lois écrites, les nobles s’appliquèrent du moins à embrouiller la procédure en la combinant avec les formules sacramentelles et les pratiques du culte dont le sens et l’usage étaient encore le secret de leur ordre. Ce fut seulement au Ve siècle de Rome qu’un affranchi nommé Flavius, secrétaire d’un des membres de la grande famille Appienne, déroba à son patron une interprétation des mystères juridiques, et la rendit publique. Cette révélation, qui concilia au scribe infidèle la faveur de la plèbe, fut pour la cité un évènement dont Tite-Live consacra le souvenir. Dans la crainte de tomber sous ce droit commun, les patriciens entreprirent de modifier les anciennes formules, et ils allèrent jusqu’à imaginer des signes particuliers, un chiffre de convention pour noter les variantes. Mais un jurisconsulte célèbre, Sextus Ælius Catus, ne tarda pas à vulgariser les secrets nouveaux de l’aristocratie. La pantomime judiciaire, quoique déconsidérée, ne tomba pas complètement en désuétude ; elle resta dans la procédure romaine, de même que nous conservons dans nos contrats le style officiel et suranné du vieux droit français. Or, s’il nous était permis, comme à M. Michelet, de nous livrer aux conjectures, ne pourrions-nous pas dire que la législation primitive, celle qui ressortait des Douze Tables, fut le fond du code rural observé dans les cantons ; que ce droit des propriétaires campagnards se répandit dans toutes les dépendances de l’empire, avec les rits et formules traditionnelles qui étaient encore en vigueur sous Constantin ? N’est-il pas probable, comme l’ont affirmé de savans jurisconsultes, que les barbares, en se substituant aux propriétaires romains, ont conservé en grande partie les usages de la propriété romaine, et que ces usages, diversement modifiés, ont formé le droit coutumier de l’Occident ; qu’ainsi beaucoup d’actes symboliques, présentés aujourd’hui comme une floraison de poésie locale, pourraient bien n’avoir été qu’une réminiscence confuse des formalités de Rome ancienne ?

Les suppositions qui précèdent n’ont pas pour but de refuser aux peuples incultes une tendance à la symbolisation. Nous avons voulu montrer seulement à quelles erreurs s’expose l’historien qui prétend discerner, d’après de tels indices, l’idée dominante de chaque nationalité, l’esprit de chaque législation. Ce que M. Michelet dit de la