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l’exaspération de la plèbe, la corruption contagieuse, le jeu perfide des institutions, ont été dépeints par plusieurs auteurs, et surtout par les historiens du droit romain. Pour être original, il eût fallu ne pas s’en tenir à une amplification du fameux passage d’Appien sur les envahissemens des grands propriétaires, et faire pénétrer les lumières de la science moderne dans le mécanisme économique de cette société d’agioteurs dont tous les mouvemens politiques peuvent être expliqués par des calculs d’intérêt. Au contraire, nous adhérerons volontiers à l’opinion que M. Michelet a portée sur son œuvre, s’il a voulu dire qu’aucun écrivain français avant lui n’avait présenté les grands drames de l’histoire romaine avec cette entente de la mise en scène, cette vivacité de coloris, cette poésie diffuse, qui saisissent le lecteur par l’imagination et le jettent dans une sorte d’enivrement dont s’alarment les esprits sévères.

On serait tenté de croire que l’auteur de l’Histoire romaine attribua le succès de son livre moins aux séductions de son talent, qu’à la vertu de sa philosophie historique. À la veille d’aborder l’histoire de France, nous le trouvons plus que jamais pénétré de ses théories sur le développement des nations. Vico avait affirmé que la jurisprudence, à l’origine d’un peuple, est toute poétique, et que le droit romain, dans son premier âge, fut un poème sérieux. Combinant ce principe avec l’idéalisme allemand, M. Michelet pensa que le caractère national de chaque peuple, que l’idée essentielle à son existence devait se traduire symboliquement dans ses coutumes primitives, ses actes juridiques, son cérémonial officiel. De ce point de vue, la vie d’un peuple apparaît comme un drame continuel, une métaphore en relief et mouvante, qui perd de sa poésie à mesure que le rationalisme fait des progrès au sein de la société, et qui déchoit jusqu’à la réalité prosaïque, de même qu’en littérature la grande épopée, miroir d’un peuple, aboutit, à force de s’amoindrir, au pamphlet individuel. S’il en était ainsi, comparer les nuances diverses de ces poèmes, ce serait un moyen de pénétrer le mot de chaque nationalité. Probablement M. Michelet ne douta pas que cette expérience ne fût une excellente préparation à ses études sur la France, et il se jeta dans un ordre de recherches dont les résultats furent un livre curieux et bizarre : les Origines du droit français, cherchées dans les symboles et les formules du droit universel ; ouvrage publié seulement en 1837, mais dont l’idée et la composition découlent évidemment des premières préoccupations de l’auteur.

La gesticulation n’est en général qu’un langage symbolique. Nous