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priété mobilière, la stabilité et le progrès, la nature et la liberté. » Ici, comme dans les visions allemandes, la cité romaine nous apparaît comme un champ-clos où se rencontrent les deux idées, le génie servile de l’Asie et le génie libre de l’Europe. La victoire reste à celui-ci, qui a l’avantage de livrer bataille sur son terrain : la liberté humaine, dont la plus haute formule est le christianisme, se fortifie par l’assimilation successive des barbares germains ; toutefois ceux-ci, les derniers venus de l’Asie, ne dépouillent que difficilement la passivité de leurs instincts. La force matérielle, la chair, le principe de l’hérédité, qui triomphent encore dans l’organisation féodale, cèdent pourtant à la voix de l’Église, qui représente la parole, l’esprit, l’élection ; « le fils du serf peut mettre le pied sur la tête de Frédéric Barberousse. » Mais le pouvoir spirituel, abjurant son titre, s’abandonne au despotisme et invoque le secours de la force matérielle ; pour retenir les peuples sous le joug ; « alors se lève, contre la blanche aube du prêtre, un homme noir, un légiste qui oppose le droit au droit. » À l’ombre du pouvoir royal, le peuple grandit jusqu’au jour de l’émancipation ; « l’homme qui vivait sur la glèbe, à quatre pattes, s’est redressé avec un rire terrible. » C’en est fait ; « la liberté a vaincu, la justice a vaincu, le monde de la fatalité s’est écroulé… »

Nous n’irons pas plus loin. De semblables divagations, enjolivées par ce luxe d’images que notre public veut bien accepter comme la dernière expression du beau, peuvent fournir une heure d’agréable lecture ; mais si, réduites au simple trait, elles paraissent un peu ridicules, à qui faut-il s’en prendre ? Quoi ! le triomphe de l’énergie humaine n’est, pour vous, qu’une affaire de locomotion ! Les germes humains qui végètent sur tel globe produiront fatalement une moisson misérable sous l’atmosphère étouffante de l’Asie, luxuriante et féconde sous le ciel favorisé de l’Europe ! Ces nations orientales, immobilisées aujourd’hui par une cause qui nous échappe, n’ont-elles pas eu leurs périodes d’activité pendant lesquelles on a bâti les monstrueuses pyramides, les temples gigantesques, les palais qui sont de grandes villes ? D’où vient le changement ? Des climats ou des institutions ? S’il était nécessaire de montrer l’inconsistance de la théorie de M. Michelet, on le mettrait facilement en contradiction avec lui-même. Par exemple, après avoir établi que l’Europe est la seule terre où la liberté ait pu fleurir, il explique les révolutions de l’Europe moderne par la fatalité des races et la tyrannie des climats. L’Allemand, l’Italien, l’Anglais, subissent l’action de certaines causes extérieures qui déterminent l’aspect, les sentimens, les aptitudes de