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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

et vigoureuse indépendance. Cette évolution d’idées chez un artiste est si naturelle, qu’il semble peu généreux de revenir avec sévérité sur les débuts de M. Michelet. Mais ses premiers ouvrages ont eu un retentissement qui n’est pas épuisé ; les défauts de cet écrivain, comme les vices brillans des hommes de distinction, ont assez de prestige pour trouver long-temps des imitateurs. Il n’est donc pas inutile de signaler ces défauts, ce que nous pouvons faire d’ailleurs avec d’autant plus de liberté que nous aurons occasion d’applaudir souvent l’historien, en l’étudiant dans la voie plus solide où il est entré.

Pendant les jours fiévreux qui suivirent la révolution de 1830, on croyait assez généralement que la réforme politique devait être courronnée par une résurrection littéraire. Les circonstances étaient on ne peut plus favorables pour mettre en crédit une philosophie de l’histoire. Le fiat lux de M. Michelet fut son Introduction à l’Histoire universelle, qui porte la date des premiers mois de 1831. Dans la disposition générale des esprits, les axiomes du philosophe italien n’étaient pas de mise. Quel moyen de faire comprendre à des vainqueurs, tout fiers encore du grand coup qu’ils viennent de frapper, que chaque révolution est une crise fatale qui rapproche le retour inévitable de la sauvagerie ? Il y eut nécessité de rajeunir un peu la Science nouvelle. M. Michelet se rapprocha donc des idéalistes allemands, qui, selon lui, continuent et complètent Vico. La première phrase de son livre donne la formule d’un système nouveau. « Avec le monde, dit-il, a commencé une guerre qui doit finir avec le monde, et pas avant : celle de l’homme contre la nature, de l’esprit contre la matière, de la liberté contre la fatalité. L’histoire n’est pas autre chose que le récit de cette interminable lutte. » À ceux qui auraient pu demander ce que c’est que la fatalité, l’auteur répondait dans une note que « la fatalité est tout ce qui fait obstacle à la liberté. »

Lorsqu’en un moment d’oublieuse indolence, on laisse égarer dans les nuages son regard et sa pensée, on s’étonne des merveilles qu’on y découvre ; mais qu’au sortir de la vague rêverie, on jette sur ce monde enchanté un coup d’œil vif et lucide, plus de châteaux lumineux, ni de groupes fantastiques : de ce spectacle dont on était ravi, il ne reste plus qu’un éblouissement, et le regret du temps perdu. N’en est-il pas de même de presque tous ces systèmes qui séduisent à première vue, parce qu’ils admettent, en raison de leur élasticité, le luxe du savoir, la pompe des mots et toute la féerie du talent, mais qui, après tout, ne soutiendraient pas pendant une heure l’examen d’un homme possédant l’humble science des faits ? Suivant Hegel et ses adeptes,