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existence nationale. D’abord la superstition les courbe sous le despotisme religieux ; c’est l’âge divin ou théocratique. Les guerriers rejettent le joug des prêtres, révolution qui coïncide avec l’âge féodal. Le troupeau des cliens et des esclaves croît en nombre à mesure que l’aristocratie s’épuise ; ils osent revendiquer des droits civils, et, à force d’empiétemens, ils font prévaloir le régime démocratique. Bientôt, embarrassé de sa souveraineté, le peuple se donne un chef, et la tyrannie commence ; mais le monarque, pour dominer plus sûrement ses sujets, les livre systématiquement à la corruption : le peuple se dégrade et dépérit ; le corps national, ayant enfin perdu toute vitalité, tombe en dissolution. Quand une société a traversé toutes ces phases, elle disparaît ; une société nouvelle lui succède. Ainsi, l’humanité doit tourner éternellement dans un cercle sans issue, et déjà, selon Vico, elle a fourni deux évolutions de ce genre : la première dans le monde ancien, dont la société romaine est le type le plus parfait ; la seconde, qui a pour point de départ la rénovation déterminée par le débordement des races barbares, et n’est pas encore épuisée. L’Europe, arrivée à l’âge humain, se débat inutilement sur la pente fatale qui la précipite vers le néant ; mais la mort engendrera la vie, et le genre humain sortira une troisième fois de la sauvagerie pour recommencer une nouvelle existence. Telle est, au fond, cette science nouvelle qui constitue, suivant son auteur, « une démonstration historique de la Providence, une histoire des décrets par lesquels cette Providence a gouverné à l’insu des hommes, et souvent malgré eux, la grande cité du genre humain. » On serait mal venu à contester la valeur personnelle de Vico et les ressources immenses de son esprit ; mais la plus grande preuve de génie qu’il ait pu faire a été de donner crédit à une doctrine aussi évidemment erronée que la sienne. Il nous serait trop facile aujourd’hui d’ébranler, par des critiques de détail, les généralités d’un système combiné à une époque où la science historique était insuffisante. Nous voulons seulement constater l’influence que Vico a exercée sur la vive et mobile intelligence de son traducteur.

La conception de Vico implique le fatalisme, et c’est là son grand vice. Ce roulement mécanique des sociétés annule évidemment la liberté morale, l’action de l’individu sur sa destinée. Dans un monde ainsi fait, il n’y a plus d’éclairs de génie, d’efforts sublimes de la volonté. Les révolutions politiques sont des crises nécessaires, et, pour ainsi dire, des phénomènes de croissance ; les belles conceptions qui élèvent l’esprit public, les merveilleuses découvertes qui enrichis-